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CE, 28 novembre 2023, n°468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Le candidat irrégulièrement évincé doit avoir été le seul à disposer d’une chance sérieuse d’emporter le marché ou la concession pour être indemnisé du manque à gagner.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Décembre 2023

Commentaires de textes ou décisions
 

Conseil d'Etat, avis 23 novembre 2023, Association Imedi, n° 474108, classé B
Le recours Tarn-et-Garonne est ouvert à l’un des titulaires de l’accord-cadre multiattributaires.


CE, 27 novembre 2023, n°462445, SNCF Voyageurs, classé B
Dans le cadre d’un recours Béziers 1 relatif à un litige d’exécution, il n’est pas permis au juge d’annuler le contrat et ce moyen est d’ordre public.


CE, 28 novembre 2023, n°468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, classé B
Le candidat irrégulièrement évincé doit avoir été le seul à disposer d’une chance sérieuse d’emporter le marché ou la concession pour être indemnisé du manque à gagner.


CE, Avis, 14 novembre 2023, n° 475648, Société Grands Travaux de l’Océan indien, classé A
Seules les constatations du médiateur et les déclarations des parties recueillies au cours de la médiation sont confidentielles.


CJUE, 23 novembre 2023, EVN Business Service GmbH, C‑480/22
Un marché passé par une centrale d’achat d’un autre Etat-membre est un marché transfrontalier ; les règles relatives au droit applicable valent aussi pour les juridictions compétentes.

 

Brèves

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Décision commentée :

Conseil d'Etat, 28 novembre 2023, n°468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, classé B 

► Consulter le texte de la décision

 

Commentaire de la décision :

Les irrégularités de la passation des marchés ou des concessions peuvent donner lieu, en France, à de nombreux recours, au rang desquels on ne saurait oublier le recours indemnitaire, jusqu’alors assez généreux. En effet, alors que d’autres pays n’indemnisent que les frais de candidature (voir Fairgrieve D. and Lichère F., Public Procurement Law: Damages as an Effective Remedy, Hart, 2011), la jurisprudence administrative indemnise non seulement ces frais, si le candidat irrégulièrement évincé « n’était pas dépourvu de toute chance d’emporter » le contrat, mais il va jusqu’à indemniser le manque à gagner s’il « disposait d’une chance sérieuse d’emporter le marché » (CE, Section, 13 mai 1970, Monti, n° 74601, p. 322 ; CE, 18 juin 2003, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP, n° 249630, T. pp. 865-909 ; CE, 8 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075, p. 14). L’analyse de la jurisprudence passée pouvait laisser croire que la notion de chance sérieuse n’impliquait pas forcément qu’il était le seul à devoir emporter le contrat, si l’irrégularité n’était pas survenue. Le rapporteur public Bertrand Dacosta, dans ses conclusions sur l’affaire Commune de la Rochelle, estimait même qu’il suffisait qu’il dispose de plus de 50 % de chance d’emporter le contrat pour avoir une indemnisation intégrale du manque à gagner (contrairement à d’autres domaines comme les dommages hospitaliers où le préjudice est indemnisé en proportion de la perte de chance sérieuse).

Mais ce n’est pas l’approche que retient finalement le Conseil d’Etat dans l’affaire ici commentée. Le Conseil d’Etat affirme que:

 Pour juger que la société La Royale Plage avait droit à être indemnisée de son manque à gagner causé par son éviction irrégulière du contrat, la cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée sur la seule circonstance qu’il ne résultait pas de l’instruction que l’offre finale de cette société aurait eu une valeur inférieure à celles des trois autres candidats admis à négocier. En statuant ainsi, alors qu’il lui revenait d’apprécier si, en l’absence de faute de la commune, la société La Royale Plage aurait eu des chances sérieuses d’emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats, la cour a commis une erreur de droit ».

Il est vrai que le raisonnement de la Cour conduisait à admettre qu’il y aurait pu y avoir 4 candidats indemnisables du manque à gagner, ce qui fait beaucoup… Mais on peut se demander s’il ne peut y avoir des situations où il y a une certaine subjectivité et que le seul fait qu’un autre candidat que celui qui demande à être indemnisé aurait pu remporter le contrat n’exclut pas pour autant le droit à indemnité. En tout cas il y a un resserrement de la possibilité d’être indemnisé et c’est certainement pour cela que l’arrêt est classé B.


Le motif d’irrégularité avancé par le requérant, non évoqué dans l’arrêt mais longuement dans les conclusions, mérite un détour, s’agissant du degré d’information des élus sur les motifs de choix du délégataire proposé par l’exécutif territorial. Pour le rapporteur public,

« nous pensons que si l’article L. 1411-5 du CGCT impose à l’exécutif territorial d’apporter à l’assemblée délibérante une information suffisante sur le dernier état des offres remises par les candidats, de façon que celle-ci puisse porter sur ces offres une appréciation comparative, cette information peut en revanche être apportée par tout moyen et ne suppose pas que l’exécutif transmette systématiquement à l’assemblée l’exposé des raisons pour lesquelles les offres des candidats non retenus ont été écartées. C’est à cet égard que nous pensons que la cour a été trop rigoriste : en se fondant sur la seule circonstance que le rapport présenté par le maire de Saint-Cyr-sur-Mer ne comportait pas de comparaison entre l’offre sélectionnée et les propositions des autres candidats, elle a bien commis l’erreur de droit que le pourvoi lui reproche. Si vous nous suivez, vous annulerez, pour ce motif, son arrêt et il lui appartiendra, après renvoi de l’affaire, d’examiner, sans faire preuve de l’automatisme que vous aurez censuré, si l’information des conseillers municipaux sur les offres a été ou pas, en l’espèce, suffisante. Nous ne sommes en effet pas certains, même dans le cadre du raisonnement moins pointilleux que nous vous avons proposé, que cela ait bien été le cas ».

Au final, le Conseil d’Etat se contente d’annuler sur le motif lié à l’absence de lien de causalité entre le préjudice et la faute.
 

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public