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CE, 27 novembre 2023, n°462445, SNCF Voyageurs, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Dans le cadre d’un recours Béziers 1 relatif à un litige d’exécution, il n’est pas permis au juge d’annuler le contrat et ce moyen est d’ordre public.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Décembre 2023

Commentaires de textes ou décisions
 

Conseil d'Etat, avis 23 novembre 2023, Association Imedi, n° 474108, classé B
Le recours Tarn-et-Garonne est ouvert à l’un des titulaires de l’accord-cadre multiattributaires.


CE, 27 novembre 2023, n°462445, SNCF Voyageurs, classé B
Dans le cadre d’un recours Béziers 1 relatif à un litige d’exécution, il n’est pas permis au juge d’annuler le contrat et ce moyen est d’ordre public.


CE, 28 novembre 2023, n°468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, classé B
Le candidat irrégulièrement évincé doit avoir été le seul à disposer d’une chance sérieuse d’emporter le marché ou la concession pour être indemnisé du manque à gagner.


CE, Avis, 14 novembre 2023, n° 475648, Société Grands Travaux de l’Océan indien, classé A
Seules les constatations du médiateur et les déclarations des parties recueillies au cours de la médiation sont confidentielles.


CJUE, 23 novembre 2023, EVN Business Service GmbH, C‑480/22
Un marché passé par une centrale d’achat d’un autre Etat-membre est un marché transfrontalier ; les règles relatives au droit applicable valent aussi pour les juridictions compétentes.

 

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Décision commentée :

Conseil d'Etat, 27 novembre 2023, n°462445, SNCF Voyageurs, classé B 

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Commentaire de la décision :

On se souvient que le recours Béziers 1 comporte en réalité deux volets bien distincts. Soit une partie invoque directement l’invalidité du contrat, qui peut éventuellement déboucher sur une annulation de celui-ci pour les vices les plus graves, soit une partie soulève l’exception d’illégalité à l’occasion d’un litige portant sur l’exécution du contrat. La formule retenue alors, d’ailleurs rappelée dans l’arrêt commenté, est assez claire : « D’autre part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ». Autrement dit, lorsque les parties ont entendu d’abord se placer sur un terrain contractuel avant qu’une des parties n’invoque l’illégalité du contrat, le juge tend à privilégier le terrain contractuel. Et s’il se place finalement sur le terrain extra contractuel, ce n’est que pour « écarter » le contrat pour la résolution du litige et non l’annuler. Le contrat subsiste donc, pour peu en tout cas qu’il ne soit pas complétement exécuté.
C’est pour avoir oublié ce détail que la Cour administrative d’appel de Marseille est sanctionnée car, bizarrement, elle a cru pouvoir annuler le contrat ou du moins ne pas sanctionner le tribunal administratif de l’avoir fait. Il est vrai que le fait qu’il soit complétement exécuté n’est pas un obstacle à une annulation (cf. CE, 15 mars 2019, Société anonyme gardéenne d'économie mixte, n° 413584, A, et CE 10 juillet 2020, Société Lacroix signalisation, n°420045, A) mais encore une fois, c’est à condition que le requérant ait demandé l’annulation ab initio, c’est-à-dire qu’il se soit placé sur le terrain du recours en contestation de validité du contrat et non, comme en l’espèce, que l’invalidité soit soulevée au cours d’un litige portant sur l’exécution.  Or, comme l’explique le rapporteur public Clément Malverti, « Offrir au juge de l’exécution la possibilité d’annuler d’office le contrat reviendrait donc en quelque sorte à renouer avec l’idée selon laquelle la nullité d’un contrat est un état préexistant de l’acte contractuel, que le juge se borne à constater, alors que dans le monde Béziers I, c’est l’irrégularité qui constitue une propriété du contrat, laquelle ne peut être sanctionnée par l’annulation du contrat qu’à certaines conditions et au terme d’une action spécifique. D’autre part, permettre au juge saisi d’un contentieux de l’exécution du contrat de prononcer d’office son annulation reviendrait à confondre les deux types d’action que votre décision Béziers a pris soin de distinguer et les finalités qu’elles poursuivent ».
Peut-être la Cour était-elle influencée par l’irrégularité en question, relative au non-respect des règles de notification préalable d’une aide d’Etat, s’agissant d’une compensation insuffisamment précise pour rentrer dans l’exception « Altmark ». Il n’empêche, elle ne pouvait aller au-delà de ce qu’avait prescrit le Conseil d’Etat.
Se posait ensuite la question de savoir si le fait, pour la Cour, de n’avoir pas annulé le jugement du tribunal sur ce point était un moyen d’ordre public. Les conclusions expliquent très clairement les enjeux : soit on considérait que le juge de 1ere instance avait statué ultra petita, soit qu’il avait méconnu son office. Dans le premier cas, il ne s’agit pas d’un moyen d’ordre public (CE, sect., 13 octobre 1961, Ville de Marseille, n° 13265, p. 567, CE, 2 mars 1990, Deplus, n° 79932, p. 54) contrairement au second. Dans cette dernière hypothèse, le rapporteur public range les cas « où le juge aggrave en appel une sanction alors qu’il est saisi du seul recours de la personne sanctionnée, ne se prononce pas sur le bien-fondé des demandes dont il est saisi en se déchargeant sur une autre autorité, s’est cru à tort saisi d’un recours de plein contentieux alors qu’il était saisi d’un REP, omet de relever un non-lieu ».
Après hésitation, il conclut être en présence d’une méconnaissance de l’office du juge car le recours Béziers I est dans son ensemble un recours relatif à l’office du juge. Du reste, dans un arrêt Conseil National des barreaux du 9 juin 2021, il a été jugé par le Conseil d’Etat que, saisi par un tiers de conclusions en contestation de la validité du contrat, le juge du contrat dispose de l'ensemble des pouvoirs qu’il tient de son office, notamment celui d’annuler le contrat, alors même que le requérant n'a expressément demandé que la résiliation du contrat (n°438047) et il est vrai qu’il était saisi d’un recours en contestation de validité. Il ajoute un argument plus pragmatique : « Or, en l’espèce, nous sommes d’avis que l’erreur commise par le TA, dans la mesure où elle a pour effet, on l’a assez dit, de bouleverser les équilibres subtils du contentieux contractuel, est bien trop grave pour que sa correction soit laissée entre les seules mains des parties ».
Le Conseil d’Etat suit donc son rapporteur public, soulignant bien les différences entre Béziers I premier volet – recours en contestation de validité - et Béziers I deuxième volet – exception d’illégalité du contrat soulevée à l’occasion d’un litige portant sur l’exécution.
 

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public