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CJUE, 26 septembre 2024, C‑710/22 P, JCDecaux Street Furniture Belgium SA c/ Commission Européenne
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Une aide d’État illégale peut être identifiée dans le cadre d’un contrat public.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Octobre 2024
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Commentaires de textes ou décisions
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Décision commentée :
CJUE, 26 septembre 2024, C‑710/22 P, JCDecaux Street Furniture Belgium SA c/ Commission Européenne
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
Il s’agit d’un arrêt important de la Cour de justice, car elle identifie une aide d'État incompatible avec le droit de l'UE dans le cadre d'un contrat de mobilier urbain. Le contexte est toutefois fondamental puisque le titulaire du nouveau contrat mis en concurrence en 1999 a continué à exploiter des équipements de son précédent contrat signé en 1984 sans payer ni loyer ni taxes, contrairement au nouveau contrat, pour compenser d'autres charges, disait-il.
Le 19 avril 2011, Clear Channel Belgium (ci-après « CCB ») a saisi la Commission d’une plainte au motif que JCDecaux avait bénéficié d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Le 24 mars 2015, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE puis le 24 juin 2019 elle a pris une décision concluant à l’existence d’une aide d’État incompatible qui a été attaquée par JCDecaux Street Furniture Belgium SA devant le Tribunal de l’Union européenne, recours rejeté le 7 septembre 2022 (T‑642/19). Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 novembre 2022, JCDecaux a introduit le pourvoi ayant fait l’objet de l’arrêt ici commenté.
Pour la Cour :
« Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal, bien que n’ayant pas exclu que les termes du contrat de 1999 aient pu contenir un mécanisme visant à compenser JCDecaux, a toutefois également considéré qu’une telle compensation n’empêchait pas, dans le cadre de l’analyse de l’existence d’une aide d’État au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de constater l’existence d’un avantage économique aux fins de l’application de cette disposition. Partant, le Tribunal, sans entacher l’arrêt attaqué d’une motivation contradictoire, a pu considérer, au point 42 de celui-ci, que la poursuite de l’exploitation par JCDecaux des dispositifs litigieux au-delà des dates d’enlèvement prévues à ladite annexe constituait un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et ce quand bien même la poursuite de cette exploitation visait à compenser cette entreprise en raison de l’enlèvement anticipé de certains dispositifs inscrits à l’annexe 10 qu’elle avait installés en exécution du contrat de 1984 ».
La société requérante contestait le raisonnement du Tribunal par plusieurs arguments tous rejetés par la Cour.
Le premier tenait à une prétendue contradiction entre les constatations faites aux points 31 et 40 de l’arrêt attaqué et celles par lesquelles le Tribunal a confirmé, aux points 42 et 102 de cet arrêt, l’existence d’une aide d’État. Les points 31 et 40 faisaient allusion à un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 29 avril 2016 qui avait conclu à des pratiques déloyales du fait d’exploitation de mobilier urbain sans titres ni taxes. La référence à cet arrêt aurait dû conduire, d’après le requérant, à l’absence d’aide puisque l’exploitation se faisait sans titre donc sans intervention publique. Mais l’avocat général expliquait bien dans ses conclusions la différence à opérer entre le contexte de la cour d’appel et le droit des aides d’État :
« [la première] statuait exclusivement au regard de la loi sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur, du 14 juillet 1991 (49), étant appelée à juger si le fait pour JCDecaux d’avoir maintenu en place et continué à exploiter certains dispositifs sans disposer des autorisations nécessaires constituait, au sens de l’article 94 de cette loi, un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale susceptible de porter atteinte aux intérêts professionnels de son concurrent CCB. Dans ce contexte, selon moi, les constats de la cour d’appel de Bruxelles doivent s’entendre comme renvoyant à une absence d’autorisation au sens du droit administratif belge (50). Cela n’exclut en aucune façon que, sous l’angle des règles de l’Union en matière d’aides d’État (51), l’attitude négative, ou à tout le moins passive, de la ville de Bruxelles, consistant, en toute connaissance de cause, à ne pas s’opposer au maintien et à l’exploitation, sur son territoire, d’un certain nombre de dispositifs publicitaires par JCDecaux au-delà des dates d’échéance prévues et, surtout, à s’abstenir de percevoir les loyers et taxes normalement dus puisse être constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ».
Pour la Cour :
« Toutefois, au point 29 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, par dérogation aux clauses du contrat de 1999, l’annexe 10 prévoyait que les dispositifs publicitaires inscrits à cette annexe pouvaient continuer à être exploités par JCDecaux dans les conditions prévues par le contrat de 1984, à savoir sans payer ni loyers ni taxes, mais uniquement jusqu’aux dates d’enlèvement prévues à ladite annexe. D’autre part, il découle, en substance, du considérant 49 de la décision litigieuse, mentionné au point 30 de l’arrêt attaqué, ainsi que du point 41 de cet arrêt que les autorités belges ont consenti à la poursuite de l’exploitation des dispositifs litigieux au-delà des dates d’enlèvement prévues à cette même annexe afin de préserver l’équilibre économique du contrat de 1984. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient JCDecaux, le Tribunal n’a pas constaté, sur le seul fondement de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, que l’exploitation des dispositifs litigieux s’est poursuivie au-delà des dates d’enlèvement prévues à l’annexe 10 sans le consentement des autorités belges ».
L’autre contradiction tiendrait à ce que le tribunal avait jugé que l’exploitation litigieuse « au-delà des dates d’enlèvement prévues à l’annexe 10 constituait un avantage économique, alors même qu’il avait constaté, à ce point 42, que la poursuite de cette exploitation visait à compenser cette entreprise pour les coûts et le préjudice causés par le retrait anticipé de certains dispositifs publicitaires inscrits à l’annexe 10 ». Pour la Cour, le Tribunal a considéré à bon droit que la circonstance que cet avantage visait à compenser un prétendu préjudice subi par cette entreprise à cause du retrait anticipé de certains dispositifs publicitaires inscrits à l’annexe 10 n’implique pas que cette compensation ne saurait constituer une aide d’État, ce dont on lui saurait tirer grief à notre sens.
La question principale consistait alors à déterminer s’il y avait avantage en dépit de cette compensation. Or, il est de jurisprudence constante que :
« il est nécessaire que des éléments objectifs et vérifiables fassent apparaître clairement que l’État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l’octroi d’un avantage économique, la décision de compenser, par la mesure effectivement mise en œuvre, le préjudice prétendument causé à un cocontractant lors de l’exécution de ses obligations (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 82 et 83) ».
La Cour estime que le Tribunal a pu considérer qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la ville de Bruxelles avait effectué une analyse du préjudice prétendument subi par JCDecaux en raison de l’enlèvement anticipé de certains dispositifs publicitaires et du bénéfice à tirer de la poursuite de l’exploitation des dispositifs litigieux, ni qu’elle avait « suivi la mise en œuvre du mécanisme de compensation du contrat de 1984 » et enfin que la volonté d’instaurer, par le contrat de 1999, une forme de compensation visant à préserver l’équilibre économique du contrat de 1984 n’exemptait pas l’administration de procéder à une analyse de l’existence et de l’étendue du préjudice que JCDecaux aurait subi à cause de l’enlèvement anticipé de certains dispositifs. En conséquence, il n’y a pas non plus de contradictions dans le raisonnement du Tribunal.
Sur le fond, le reste du raisonnement de la Cour consiste à rejeter l’argument de la dénaturation des faits. Seul un aspect mérite l’attention, même s’il ne saurait surprendre : « doit être rejeté l’argument de JCDecaux selon lequel la condition relative à l’existence d’un avantage économique, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, exigeait de tenir compte de la circonstance que CCB aurait également bénéficié d’une exonération de la taxe sur la publicité pour l’exploitation de dispositifs publicitaires dans d’autres communes belges. En effet, cette circonstance est, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, sans pertinence pour déterminer si JCDecaux avait bénéficié d’un tel avantage ».
En somme, l’aide est caractérisée par une sorte de tolérance administrative : la continuation de l’exploitation de mobiliers urbains en dehors de tout contrat, ce qui est original, même si la Cour prend soin d’identifier un consentement. Surtout, l’avantage résulte de ce que la prétendue compensation n’ait pas été du tout calculée ni contrôlée par la ville de Bruxelles.
Néanmoins, bien qu’intéressant, cet arrêt ne doit pas conduire à une surinterprétation du risque d’existence d’aide d’État dans le cadre d’un contrat public : c’est précisément parce que les avantages étaient consentis en dehors de tout cadre contractuel que l’aide a été caractérisée.
Professeur agrégé en droit public
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