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CE, 27 septembre 2024, n°490697, Région Guadeloupe, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

La communication de la décision de rejet d’une offre et de leurs motifs dans un délai de 15 mois est légale sous conditions.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Octobre 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

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Le régime de responsabilité des contrôleurs techniques précisé.


CE, 27 septembre 2024, n°490697, Région Guadeloupe, classé B
La communication de la décision de rejet d’une offre et de leurs motifs dans un délai de 15 mois est légale sous conditions.


► CJUE, 26 septembre 2024, C‑710/22 P, JCDecaux Street Furniture Belgium SA c/ Commission Européenne
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Décision commentée :
 

CE, 27 septembre 2024, n°490697, Région Guadeloupe, classé B

► Consulter le texte de la décision.

 

Commentaire de la décision :


Dans cette affaire, la communication rejetant l’offre du requérant sur le lot 2 était intervenue très tardivement, même si c’était avant la signature du marché : la procédure de passation du lot n° 1 du même marché public de travaux avait été déclarée sans suite par le pouvoir adjudicateur en décembre 2022 puis relancée, après scission de ce lot n° 1 en deux nouveaux lots, le 14 juin 2023.

N’étaient pas ici en cause l’interprétation des dispositions relatives aux informations des candidats qui sont assez claires. L’article L. 2181-1 du CCP énonce que : « Dès qu’il a fait son choix, l’acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l’offre n’a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État ». Et, l’article R. 2181-1 du CCP précise que : « L’acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre », l’article R. 2181-3 prévoyant que, pour les procédures formalisées, le rejet est accompagné des motifs de rejet et, lorsqu’elle est faite après l’attribution, du nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre. On peut certes avoir quelques doutes sur le degré de précisions des motifs et surtout sur ce que signifie « sans délai » : un jour ? deux jours ? une semaine ? La question ne se posait guère dans l’affaire commentée puisque le pouvoir adjudicateur avait informé du rejet de l’offre plus de…15 mois après le rejet de celle-ci. Aussi, le sujet ne consistait pas à identifier l’existence d’un manquement ou non – le Conseil d’État indique clairement qu’il y en avait bien un – mais à déterminer les conséquences de ce manquement et s’il y avait régularisation de ce manquement.

Sans grande surprise, le Conseil d’État réitère une jurisprudence intervenue dans un contexte un peu similaire. Il a déjà été jugé que : 

« l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence ; que, cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles 80 et 83 précités a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction. » 
(CE, 6 mars 2009, n°321217, Syndicat mixte de la région d’Auray Belz Quiberon, T. p. 840)


La formule est reprise ici à l’identique, y compris en ce qu’elle conditionne la « régularisation » lors du référé précontractuel à l’existence d’un délai suffisant entre la communication des motifs pendant l’instance et la décision du juge. Les différences entre l’arrêt commenté et cette affaire de 2009 sont de deux ordres. D’une part, la communication de l’attributaire et des motifs de choix de l’offre retenue n’avait pas, à l’époque, à être faite spontanément, mais sur demande du candidat dont l’offre – conforme - avait été rejetée, comme actuellement pour les procédures adaptées. D’autre part, il n’y avait eu, dans l’affaire de 2009, aucune communication alors qu’ici elle a bien eu lieu, même si ce n’est que 15 mois plus tard. On comprend que ces différences n’aient pu fonder une solution différente à quinze années d’intervalle.

Pour autant, cette solution réitérée nous parait regrettable tant pour des raisons pratiques et logiques que pour des questions de conformité avec le droit de l’Union européenne.

Que le juge n’impose pas la communication de la méthode de notation aux candidats en amont, mais seulement en cas de référé précontractuel, on peut le comprendre, car il s’agit d’un simple usage et la connaissance de cette méthode n’est pas de nature à affecter la constitution de l’offre puisqu’il s’agit d’évaluer les offres entre elles (CE, 21 mai 2010, n°333737, Commune d’Ajaccio), même si cela peut pousser à déposer un référé précontractuel simplement pour vérifier la légalité de cette méthode de notation. Mais que l’on se contente de n’exiger la communication des motifs de rejet et de choix de l’offre retenue qu’au stade où le juge du référé précontractuel est saisi, c’est plus discutable. Le risque est réel d’inciter à ainsi déposer un référé précontractuel ne serait-ce que pour connaître ces motifs – et de décourager de le faire ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens d’agir en justice. C’est donc précisément le contraire de l’objectif pourtant poursuivi, d’ailleurs rappelé par le Conseil d’État en 2009 et dans l’arrêt commenté : informer les candidats rejetés afin qu’ils jugent de l’opportunité de déposer un référé précontractuel.

Ensuite, le rapporteur public expliquait que la solution de 2009 pouvait se justifier par le resserrement des moyens invocables depuis l’arrêt SMIRGEOMES de 2008. Mais aucune référence à cette jurisprudence n’est faite ici puisqu’il n’est pas fait mention du fait que le moyen ne lèse pas le requérant ou est susceptible de l’avoir lésé et pour cause : le défaut de motivation n’a pas d’incidence sur ses chances d’obtenir le marché. La logique nous échappe ici.

Le rapporteur public mettait enfin en avant une parfaite conformité avec le droit de l’Union européenne, « la Cour de Luxembourg ayant pour sa part estimé que l’obligation de l’acheteur de communiquer les motifs du rejet d’une offre ne vise qu’à garantir la possibilité et l’utilité du référé précontractuel (cf. CJUE 17 février 2011, Commission européenne c/ Chypre, n° C-251/09) ». On peut ne pas être totalement d’accord sur ce point à la lecture de l’arrêt :

« Néanmoins, la motivation de la décision de rejet d’une offre doit être communiquée aux soumissionnaires concernés, en temps utile, afin que les soumissionnaires évincés aient la possibilité d’introduire efficacement un recours (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, point 34). 59 En l’espèce, le pouvoir adjudicateur a communiqué sa décision de rejet au soumissionnaire évincé par une lettre, en date du 1er février 2006, sur laquelle figuraient les délais et voies de recours qui lui étaient ouverts. Ce dernier a, conformément à la législation nationale, demandé au pouvoir adjudicateur les motifs de la décision de rejet, par une lettre du 3 février 2006. AIK a répondu par une lettre du 8 février 2006. Il est constant que, selon la législation chypriote, ce n’est qu’à compter de la réception de cette dernière que le délai de recours a commencé à courir ».


Certes, la Cour en déduit qu’il n’y a pas eu violation du droit au recours effectif, mais cela peut s’expliquer puisque le délai pour introduire le recours commençait à courir à compter de cette communication, qui en outre a eu lieu très rapidement.

L’arrêt Commission c/ Irlande précité fait d’ailleurs plutôt pencher dans le sens d’une obligation de communication effective avant le dépôt du recours. Il y est indiqué que :

« D’une part, l’article 49 du S.I. n° 329 de 2006 prévoit que les soumissionnaires doivent être informés de la décision d’attribution d’un marché public par les voies de communication les plus rapides possibles, et cela dans les meilleurs délais après que le pouvoir adjudicateur a pris sa décision. À compter de ladite information, le délai de suspension qui doit s’écouler avant la conclusion du contrat doit être d’au moins quatorze jours. Cependant, aux termes de la même disposition, le pouvoir adjudicateur n’est tenu d’indiquer les motifs du rejet d’une offre que lorsqu’il en reçoit la demande expresse, et cela «dès que possible et, au plus tard, dans les quinze jours».
31 Ainsi que le reconnaît l’Irlande, il en résulte que le délai de suspension peut avoir déjà expiré au moment où un soumissionnaire écarté est pleinement informé des raisons du rejet de son offre. Or, comme le soutient la Commission, la motivation de la décision de rejet doit être communiquée au moment de la notification de cette décision aux soumissionnaires concernés et, dans tous les cas, en temps utile et bien avant la conclusion du contrat, afin que les soumissionnaires évincés aient la possibilité d’introduire, notamment, une demande de mesures provisoires jusqu’à ladite conclusion (…)
34 Ainsi qu’il ressort du point 31 du présent arrêt, la motivation de la décision de rejet de l’offre doit être communiquée aux soumissionnaires concernés en temps utile et bien avant la conclusion du contrat, afin que les soumissionnaires évincés aient la possibilité d’introduire, notamment, une demande de mesures provisoires jusqu’à ladite conclusion. »
(CJUE 23 décembre 2009, C‑455/08)


C’est donc pour apprécier l’opportunité de déposer un recours que cette information est faite. Du reste, cet arrêt est intervenu 8 mois après l’arrêt du Conseil d’État Syndicat mixte de la région d’Auray Belz Quiberon, de sorte qu’il aurait été bon de repasser ce dernier au filtre de la jurisprudence européenne.

On l’aura compris, nous n’aurions pas été contre au minimum un retour à la formule antérieure à 2009 : le requérant pouvait demander que le juge du référé précontractuel ordonne que lui soient communiqués les motifs du rejet de son offre et suspende la procédure de passation du marché litigieux dans cette attente (CE 21 janvier 2004, n°253509, Société Aquitaine démolition, T. p. 771). Mais la sanction n’était alors probablement pas suffisante, car le pouvoir adjudicateur pouvait se contenter d’attendre le référé précontractuel, avec comme seule conséquence un léger différé de la signature du contrat.

Il serait donc préférable que le juge soit encore plus sévère et annule depuis le début une procédure pour défaut ou insuffisance de motivation ou bien que le pouvoir réglementaire vienne lui-même fixer un délai précis et les conséquences de son non-respect. En effet, dans le cas où la signature du contrat interviendrait sans ladite communication ou en cas d’insuffisance de motivation, le référé contractuel ne serait pas ouvert (art. L. 551-18 CJA) et il est peu probable que le recours Tarn-et-Garonne ne donne rien. La violation de cette obligation d’information, essentielle pour le droit au recours, le serait aussi pour permettre de ne pas encombrer le prétoire de ces sortes de « référé communication » des motifs de rejet et de choix de l’attributaire.
 
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public