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CE, 2 octobre 2024, n°474364, 474366, 474368 et 488166, Bureau Veritas, Société Apave, classés B
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Le régime de responsabilité des contrôleurs techniques précisé.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Octobre 2024
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 2 octobre 2024, n°474364, 474366, 474368 et 488166, Bureau Veritas, Société Apave, classés B
Le régime de responsabilité des contrôleurs techniques précisé.
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Décision commentée :
CE, 2 octobre 2024, n°474364, 474366, 474368 et 488166, Bureau Veritas, Société Apave, classés B
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
Dans plusieurs affaires jointes et aux conclusions communes, le Conseil d’État précise le régime de responsabilité des contrôleurs techniques en jugeant que lorsqu’ils sont condamnés solidairement avec d’autres constructeurs au titre de la garantie décennale, ils ne peuvent appeler en garantie les autres constructeurs que s’ils prouvent leurs fautes et non seulement l’absence de faute propre de leur part. Bien que qualifiés de longue date de « constructeurs », le législateur a voulu aménager leur régime de responsabilité par l’ordonnance du 8 juin 2005 en ajoutant une deuxième phrase à l’article L. 111-24 du code de la construction et de l’habitation (CCH) (devenu l’ article L. 125-2 après l’ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020) : « Le contrôleur technique n’est tenu vis-à-vis des constructeurs à supporter la réparation de dommages qu’à concurrence de la part de responsabilité susceptible d’être mise à sa charge dans les limites des missions définies par le contrat le liant au maître d’ouvrage ».
La première phrase de ce même article est issue de la loi Spinetta n° 78-12 du 4 janvier 1978 qui a instauré une présomption de responsabilité au titre de la garantie décennale, responsabilité sans faute à prouver, y compris donc pour les contrôleurs techniques visés explicitement. Auparavant, l’exigence d’une faute, difficile à prouver, voire des exonérations contractuelles conduisait à une quasi-absence de responsabilité des contrôleurs techniques. En effet, la jurisprudence avait mis en œuvre une responsabilité in solidum des constructeurs.
Mais la portée de cette deuxième phrase interroge. Les requérants estimaient ainsi, d’après les conclusions de Marc Pichon de Vendeuil, que « les dispositions de l’article L. 111-24 du CCH font obstacle à ce qu’un contrôleur technique soit condamné solidairement avec les autres constructeurs lorsque sa responsabilité contractuelle a été engagée avant la réception des travaux ». Ce à quoi le rapporteur public répond qu’« il résulte des termes-mêmes de l’article L. 111-24 que ses dispositions ne sont pas applicables à la responsabilité contractuelle. Ainsi, son premier alinéa vise clairement la seule garantie décennale, à travers le renvoi aux articles idoines du code civil, et son second alinéa ne peut dès lors se comprendre que comme venant apporter un tempérament à la responsabilité ». La conséquence en est tirée par le Conseil d’État qui estime que la condamnation in solidum d’un contrôleur technique avec les autres responsables du dommage à réparer les conséquences dommageables que leurs fautes contractuelles ont causées au maître d’ouvrage ne méconnaît pas ces dispositions.
L’autre question – la principale en réalité - consistait à savoir si les mêmes dispositions ont pour objet, dans le cadre d’un appel en garantie, de limiter la contribution à la dette du contrôleur technique lorsqu’il n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité décennale. En effet, l’appel en garantie implique l’établissement d’une faute (CE 24 juillet 1981, Société générale d’entreprise, n° 13519, T. pp. 815-816-819). Et quand un participant aux travaux n’a pas commis de faute, il se voit ainsi totalement garanti par les coauteurs du dommage des sommes qu’il a été condamné à verser à la victime au titre de la garantie in solidum (CE 5 février 1988, Ministre délégué auprès du ministre de l’industrie et de la recherche chargé des P.T.T. c/ Époux B..., n° 58556, p. 51). Lorsqu’aucune faute n’est prouvée de la part des coobligés, la Cour de cassation a jugé que la contribution se fait « à parts égales » (Cass. Civ. 2ème, 8 juillet 2004, n° 02-21.575, Bull. II, n° 343). Cette hypothèse semble toutefois rare en pratique, les experts judiciaires étant justement désignés pour trouver des responsables aux malfaçons rendant l’ouvrage impropre à sa destination. Il reste que, comme dans l’affaire en cause, la question de la responsabilité des contrôleurs techniques pouvait se poser lorsqu’il est appelé en garantie in solidum, ce qu’implique la garantie décennale puisqu’il s’agit d’une responsabilité sans faute à prouver pour la victime.
Pour le Conseil d’État, le contrôleur technique dont la responsabilité décennale est engagée envers le maître de l’ouvrage doit donc, s’il entend appeler en garantie les autres participants à l’opération de construction, non pas établir qu’il n’a pas commis de faute, mais établir que les autres participants ont commis une faute ayant contribué à la réalisation des dommages dont le maître d’ouvrage demande réparation. Il semble ainsi implicitement suivre ici son rapporteur public qui estimait que le législateur n’a pas voulu instituer, en matière d’appel en garantie, un régime distinct de celui applicable aux autres participants à l’opération de construction en écrivant que le contrôleur n’est tenu à réparation « qu’à concurrence de la part de responsabilité susceptible d’être mise à sa charge dans les limites des missions définies par le contrat le liant au maître de l’ouvrage ».
On aurait pu avoir une autre lecture : le rapporteur public soulignait en effet l’ambiguïté de l’intention du législateur et citait le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 8 juin 2005 : les dispositions en cause
« ont pour objet de différencier la responsabilité des contrôleurs techniques, étant donné la nature de leur mission, de celle des constructeurs proprement dits. En effet, une interprétation extensive de leur rôle par le juge s’est traduite par une surévaluation de leur responsabilité. Les dispositions prévues, qui ont une valeur interprétative, précisent que l’obligation, vis-à-vis des constructeurs, de réparation des dommages s’impose dans les limites de la responsabilité du contrôleur technique définie par le contrat avec le maître d’ouvrage ».
La référence à la « valeur interprétative » conduit le rapporteur public à ne pas donner une portée extensive. Pourtant, l’intention du législateur aurait pu être interprétée comme ne conduisant pas à la mise en jeu de la responsabilité des contrôleurs techniques en l’absence de faute d’aucun autre constructeur compte tenu de la « nature de leur mission ». Un commentateur de l’ordonnance de 2005 avait d’ailleurs estimé que pour « donner un sens et une efficacité à ce texte », il faudrait à travers ces dispositions estimer « que le contrôleur technique n’aura pas à supporter la carence et/ou l’insolvabilité de l’un des constructeurs condamnés in solidum avec lui et serait en droit en conséquence de demander dans une telle hypothèse aux autres constructeurs de supporter entre eux, par part virile ou à proportion de leur responsabilité respective, la part du défaillant » (J-P. Karila, « Responsabilité et assurance construction : la réforme du 8 juin 2005 », Moniteur n°5312 du 10 septembre 2005).
Mais le rapporteur public rejette cette idée, en interprétant différemment des requérants un arrêt de 1995 (CE 10 février 1995, OPHLM de la communauté urbaine de Bordeaux, n° 80255, T. p. 905) : cet arrêt a certes jugé que les constructeurs condamnés solidairement avec la société de contrôle technique devaient garantir celle-ci en totalité de cette condamnation au motif « qu’il ne résulte pas de l’instruction que la société (…) ait commis, dans l’accomplissement de ses missions, des fautes de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis des autres constructeurs », mais il se trouve que les autres constructeurs avaient commis des fautes. On ne pouvait donc en tirer l’argument comme le faisaient les requérants.
Finalement, l’arrêt tranche en atténuant la portée de l’ordonnance du 8 juin 2005 au point que les contrôleurs techniques sont finalement logés à la même enseigne que les autres constructeurs. D’une certaine manière, cela peut se comprendre, car, même s’ils ne sont pas constructeurs au sens strict de l’entreprise d’exécution, ils font partie d’une chaine de contrôles au même titre que les maîtres d’œuvre ou les assistants à maître d’ouvrage. Il n’est pas sûr que la « nature » de leur mission soit alors si différente.
Professeur agrégé en droit public
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