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Règlements 2024/2747 du 9 octobre 2024, 2024/3110 du 27 novembre 2024 et 2025/40 du 19 décembre 2024

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

L’impact de trois règlements européens sur les marchés publics.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Avril 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 17 mars 2025, n° 491682, Société Eiffage Construction Sud-Est, classé B
Le titulaire d’un marché de travaux à prix global et forfaitaire a droit au paiement des travaux supplémentaires faits à la demande, même verbale, du maître de l’ouvrage ou du maître d’œuvre.


► CE, 17 mars 2025, n° 492664, Commune de Béthune, classé A
La possibilité de regrouper plusieurs services publics dans un unique ensemble contractuel ne peut permettre de déroger aux règles qui s’imposent pour la dévolution et l’exploitation de ces services.


CJUE, 20 mars 2025, Associazione Nazionale Italiana Bingo – Anib, C‑728/22 à C‑730/22
Il n’est pas possible de modifier des concessions par voie législative sans respecter les règles de modifications prévues par la directive concessions.


Règlements 2024/2747 du 9 octobre 2024, 2024/3110 du 27 novembre 2024 et 2025/40 du 19 décembre 2024
L’impact de trois règlements européens sur les marchés publics.


 

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Textes commentés :

Règlements 2024/2747 du 9 octobre 2024, 2024/3110 du 27 novembre 2024 et 2025/40 du 19 décembre 2024

► Consulter le texte du règlement 2024/2747.
► Consulter le texte du règlement 2024/3110.
► Consulter le texte du règlement 2025/40.


 

Commentaire des règlements européens :


On sait que la commande publique est de plus en plus « éclatée » juridiquement alors que le Code de la commande publique avait quasiment regroupé dans un document unique tout ce qui la concerne. Si le droit national n’est pas en reste, cette cause d’éclatement est surtout européenne, en particulier du fait de l’adoption soit de directives (CRSD, CS3D) ou de règlements qui n’ont pas à être transposés en droit interne. Les trois règlements européens commentés ici alimentent un peu plus cette dispersion des sources, car tous contiennent des dispositions relatives aux marchés publics.

Le premier règlement établit « un cadre de mesures relatives à une situation d’urgence dans le marché intérieur et à la résilience du marché intérieur » et modifiant le règlement (CE) no 2679/98. Il concerne des situations d’alerte et d’urgence définies comme suit à l’article 3 : le « mode d’alerte dans le marché intérieur» est « un cadre permettant de faire face à la menace d’une crise susceptible de se transformer en une situation d’urgence dans le marché intérieur dans les six prochains mois » ; le « mode d’urgence dans le marché intérieur » est « un cadre permettant de faire face à une crise ayant des conséquences négatives considérables sur le marché intérieur qui perturbent gravement la libre circulation des biens, des services et des personnes ou, lorsqu’une telle perturbation grave a fait ou risque de faire l’objet de mesures nationales divergentes, le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement du marché intérieur » ; enfin la « crise » est « un événement exceptionnel, inattendu et soudain, naturel ou d’origine humaine, de nature et d’ampleur extraordinaires, qui se produit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union, qui a ou peut avoir des conséquences négatives graves sur le fonctionnement du marché intérieur et qui perturbe la libre circulation des biens, des services et des personnes ou perturbe le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement du marché intérieur ».

Ce règlement comporte un titre V relatif à « la passation des marchés publics » qui lui-même comporte trois chapitres. Le premier règle le cas de « la passation de marchés publics par la Commission pour le compte ou au nom des États membres » pendant un mode d’alerte ou un mode d’urgence. Il fixe la procédure de saisine de la Commission par au moins deux États membres puis le mandat qui lui est confié et le droit applicable pour la passation, en l’occurrence le règlement du 23 septembre 2024 n°2024/2509 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (lui-même calqué sur la directive 2014/24 pour ce qui concerne la passation des marchés publics de la Commission). Il vise donc à donner un cadre permanent d’intervention de la Commission en pareil cas, alors que la crise de la Covid-19 avait contraint les États membres a donné un mandat ad hoc, ainsi que l’a illustré l’arrêt Association Bon Sens (CE, sect., 22 mars 2024, n° 471048, Lebon) que nous avions commenté (JCP G, 2024). Rien n’est dit dans ce règlement sur les juridictions compétentes, ce qui devrait conduire la Commission à renouveler des clauses attributives de compétence aux juridictions belges comme dans l’affaire Association Bon sens.

Le deuxième chapitre est relatif à la passation conjointe de marchés pendant les modes d’alerte et d’urgence entre la Commission et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices « en vue de fournir des biens et des services d’importance critique ou des biens et services nécessaires en cas de crise », ce qui semble plus restrictif que les situations d’alerte ou d’urgence. L’originalité tient à ce que les États membres peuvent acquérir, louer ou prendre en crédit-bail intégralement les capacités ainsi acquises conjointement. Le troisième chapitre a trait à la « Passation de marchés par les États membres pendant le mode d’urgence » et non pendant le mode d’alerte. Il comporte un premier article sur la consultation et la coordination en ce qui concerne la passation de marchés individuels par les États membres prescrivant aux États membres de tout mettre en œuvre « en vue de s’informer mutuellement et d’informer la Commission sur les procédures de passation de marchés en cours pour les biens et services nécessaires en cas de crise ». Plus particulièrement, les États membres doivent s’informer « mutuellement au sujet de l’intention de l’un de leurs pouvoirs adjudicateurs ou de l’une de leurs entités adjudicatrices de lancer des procédures de passation de marchés pour des biens et services nécessaires en cas de crise, consultent les autres États membres et la Commission sur la forme de passation de marché la plus appropriée; et coordonnent leurs procédures de passation de marchés en cas de situation d’urgence dans le marché intérieur dans un esprit de solidarité entre les États membres ». Le deuxième article concerne la possibilité d’introduire une clause d’exclusivité dans l’accord régissant la passation de marchés par la Commission pour le compte ou au nom d’un ou de plusieurs États membres participants ou la passation conjointe de marchés entre la Commission et un ou plusieurs États membres participants « en vertu de laquelle les États membres participants s’engagent à ne pas acquérir les biens nécessaires en cas de crise ou les services nécessaires en cas de crise en question par d’autres canaux et à ne pas mener de négociations parallèles ». Il prévoit tout de même la possibilité pour les États membres de lancer leur propre procédure de passation de marchés pour l’acquisition de quantités supplémentaires « sous réserve de l’accord de la Commission et après consultation de tous les autres États membres participants ». On sent l’influence des initiatives disparates, voire erratiques, constatées pendant l’épidémie de Covid-19.

Le deuxième règlement commenté 2024/3110 du 27 novembre 2024 et abrogeant le règlement n° 305/2011 établit des règles harmonisées de commercialisation pour les produits de construction. Il contient un chapitre XII intitulé « Mesures incitatives et marchés publics » dont un article, le 83, concerne les « marchés publics écologiques » pour lesquels la Commission doit adopter des actes délégués pour spécifier « des exigences minimales obligatoires en matière de durabilité environnementale pour les produits de construction », sans qu’une échéance ne soit fixée. Les procédures de passation de marchés des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices devront respecter des exigences minimales, mais uniquement « lorsque les marchés exigent des performances minimales en matière de durabilité environnementale pour les produits de construction en ce qui concerne leurs caractéristiques essentielles couvertes par des spécifications techniques harmonisées ». Mais ils peuvent très bien établir des exigences plus ambitieuses en matière de durabilité environnementale, soit liées « aux caractéristiques essentielles couvertes par des spécifications techniques harmonisées » soit liées « à d’autres caractéristiques essentielles ».

Ces exigences minimales obligatoires en matière de durabilité environnementale fixées dans les actes délégués peuvent prendre la forme de spécifications techniques, de critères de sélection des candidats, de conditions d’exécution du marché ou de critères d’attribution du marché. On a du mal à comprendre comment des exigences minimales peuvent passer par la définition de critères d’attribution.

Enfin, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent, à titre exceptionnel, décider de ne pas appliquer ces exigences minimales :

« lorsque, après une consultation préalable du marché conformément à l’article 40 de la directive 2014/24/UE et à l’article 58 de la directive 2014/25/UE, il a été constaté que le produit de construction requis ne peut être fourni que par un opérateur économique spécifique et qu’il n’existe pas d’alternative ou de substitut raisonnable; qu’aucune offre appropriée ou demande de participation appropriée n’a été déposée en réponse à une procédure de passation de marchés antérieure; ou que l’application du paragraphe 1 ou l’incorporation du produit de construction requis dans les travaux de construction obligerait ce pouvoir adjudicateur ou cette entité adjudicatrice à supporter des coûts disproportionnés ou entraînerait une incompatibilité ou des difficultés techniques. Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent présumer que les différences de valeur estimée du marché supérieures à 10 %, basées sur des données objectives et transparentes, sont disproportionnées ».


Voilà des perspectives de travail pour les ingénieurs et les juristes.

Le troisième et dernier règlement commenté est « relatif aux emballages et aux déchets d’emballages » modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2019/904 et abrogeant la directive 94/62/CE.

Son chapitre X est intitulé « marchés publics écologiques » et ne contient qu’un seul article, le 63. Il n’est pas d’application immédiate puisqu’il prescrit à la Commission d’adopter des actes d’exécution précisant les exigences minimales obligatoires pour les marchés publics d’ici le 12 février 2030 « pour lesquels les emballages ou les produits emballés représentent plus de 30 % de la valeur estimée des marchés ou de la valeur des produits utilisés par les services faisant l’objet du marché ». Il faudra donc procéder à ce calcul pour chaque produit acheté. Ces exigences minimales concernent ce qui est visé aux articles 5 à 11 du règlement, c’est-à-dire des exigences de durabilité et sur des éléments spécifiés dans l’article 63 qui, si l’on comprend bien, permette d’atténuer le respect de ces exigences puisqu’il faut tenir compte notamment de « la capacité économique des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices d’acheter des emballages ou des produits emballés plus durables sur le plan environnemental, sans entraîner de coûts disproportionnés », de « la situation du marché des emballages ou des produits emballés concernés au niveau de l’Union » ou encore des « effets des exigences sur la concurrence ».

Ensuite, ces exigences peuvent prendre la forme de spécifications techniques, de critères de sélection ou de conditions d’exécution du marché. Une possibilité de dérogation est prévue pour des motifs de sécurité publique ou de santé publique.

À l’heure où l’on parle de simplification de la commande publique, on peut se demander si ces prescriptions propres aux marchés publics étaient bien nécessaires et il n’aurait pas suffi de se contenter d’une réglementation minimale européenne applicable pour tout acheteur, qu’il soit public ou privé.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public