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CE, 17 mars 2025, n° 492664, Commune de Béthune, classé A

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

La possibilité de regrouper plusieurs services publics dans un unique ensemble contractuel ne peut permettre de déroger aux règles qui s’imposent pour la dévolution et l’exploitation de ces services.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Avril 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 17 mars 2025, n° 491682, Société Eiffage Construction Sud-Est, classé B
Le titulaire d’un marché de travaux à prix global et forfaitaire a droit au paiement des travaux supplémentaires faits à la demande, même verbale, du maître de l’ouvrage ou du maître d’œuvre.


► CE, 17 mars 2025, n° 492664, Commune de Béthune, classé A
La possibilité de regrouper plusieurs services publics dans un unique ensemble contractuel ne peut permettre de déroger aux règles qui s’imposent pour la dévolution et l’exploitation de ces services.


CJUE, 20 mars 2025, Associazione Nazionale Italiana Bingo – Anib, C‑728/22 à C‑730/22
Il n’est pas possible de modifier des concessions par voie législative sans respecter les règles de modifications prévues par la directive concessions.


Règlements 2024/2747 du 9 octobre 2024, 2024/3110 du 27 novembre 2024 et 2025/40 du 19 décembre 2024
L’impact de trois règlements européens sur les marchés publics.


 

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Décision commentée :

CE 17 mars 2025, n° 492664, Commune de Béthune, classé A

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Commentaire de la décision :


Les faits de l’espèce sont importants pour comprendre la portée de la décision, ainsi qu’ils ressortent de l’arrêt lui-même et des conclusions du rapporteur public Nicolas Labrune. La commune de Béthune et la société Q-Park France avaient conclu en 2005 un contrat de délégation du service public du stationnement sur voirie, un contrat de concession pour la construction et l’exploitation d’un parc public de stationnement souterrain, un contrat d’affermage pour la rénovation et l’exploitation d’un parc public existant et un quatrième contrat dit « commun » comportant des stipulations applicables à l’ensemble de ces contrats.

Suite à un audit commandé par la Commune en 2011, à un rapport défavorable de la chambre régionale des comptes et une plainte pour favoritisme et escroquerie déposée par la commune mais ayant donné à une ordonnance de non-lieu en 2016, la commune a cherché à déposer en 2019 un recours « Béziers I » afin d’obtenir l’annulation de l’ensemble des contrats en invoquant plusieurs vices, tous, rejetés par le Conseil d’État qui confirme ainsi l’arrêt de la CAA de Douai.

Le premier moyen rejeté par le Conseil d’État concernait l’existence d’un vice du consentement, dont on sait qu’il peut effectivement conduire à l’annulation d’un contrat administratif, que ce soit à la demande d’une partie ou d’un tiers. Le Conseil d’État reprend ici la formule de l’arrêt Béziers I, concernant « un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ». Il rejette ce moyen comme manquant en fait, mais on peut se demander s’il n’aurait pas dû le rejeter comme inopérant puisqu’il juge que « la cour n’a pas davantage dénaturé les pièces du dossier en jugeant que, malgré les irrégularités et imprécisions relevées par la chambre régionale des comptes et par le cabinet d’audit que la commune avait mandaté, les documents préparatoires à la passation des contrats ne comportaient pas une présentation et une analyse des offres erronées ou biaisées, de nature à induire en erreur ou à tromper le conseil municipal sur les motifs justifiant le choix de l’attributaire ou l'économie générale des contrats, en particulier s’agissant du montant de la subvention d’équipement allouée au délégataire et de l’engagement de la commune à verser une contribution financière dans l’hypothèse où les recettes de stationnement payant sur voirie seraient inférieures aux recettes prévisionnelles ». Autrement dit, il n’exclut pas qu’il puisse y avoir vice du consentement du conseil municipal, qui aurait ainsi été trompé par l’exécutif communal puisqu’il est fait allusion à l’analyse des offres. Or, il semble difficile d’admettre un tel vice du consentement « interne » à la personne publique, sauf à considérer qu’est visée en réalité la notion plus large de vice de consentement (voir, sur le caractère a priori opérant du moyen, CE, 8 octobre 2014, Commune d’Entraigues-sur-la-Sorgue, n° 370588, sur l’emploi de l’expression « vice de consentement », voir par exemple CE, 13 octobre 2023, 464955, classé B). Il aurait peut-être fallu ajouter un « en tout état de cause ».

Mais c’est concernant la validité du contrat que l’apport de l’arrêt est le plus important. Certes, il reprend le considérant de principe adopté en 2016 : « aucune disposition législative ni aucun principe général n'impose à la collectivité publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité de conclure autant de conventions qu'il y a de services distincts ; qu'elle ne saurait toutefois, sans méconnaître les impératifs de bonne administration ou les obligations générales de mise en concurrence qui s'imposent à elle, donner à une délégation un périmètre manifestement excessif ni réunir au sein de la même convention des services qui n'auraient manifestement aucun lien entre eux » (CE, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon et Société Keolis, n°399656, 399699, T.). Il avait ainsi admis que « les services de transport urbain, de stationnement et de mise en fourrière, qui concourent à l'organisation de la mobilité des habitants sur le territoire de la communauté urbaine, présentaient entre eux un lien suffisant et décider de les confier à un délégataire unique afin d'assurer une coordination efficace entre les différents modes de transport et de stationnement, dont une partie significative des usagers est identique ». On peut tout à fait admettre qu’il en allait a fortiori de même en l’espèce, s’agissant du stationnement seulement.

Mais l’arrêt commenté va plus loin. En premier lieu, il étend ce principe au cas d’un unique ensemble contractuel comme c’était le cas en l’espèce. Le rapporteur public passa beaucoup plus de temps à revenir sur cette notion (aussi appelée par la CAA ensemble contractuel indissociable) en distinguant, au regard de la jurisprudence, deux types de situations : celles où l’ensemble contractuel est imposé en ce sens qu’un contrat ne peut exister sans l’autre (contrat accessoire d’un principal, accord-cadre) de ceux qui reposent sur des associations de contrats qui pourraient produire des effets par eux-mêmes, comme celui en l’espèce. En deuxième lieu et surtout, le Conseil d’État suit son rapporteur public pour ajouter une condition dans la mesure où le regroupement de services publics posait ici des questions de légalité propres à seulement certains des services regroupés alors que dans l’affaire de Dijon précitée, le seul moyen invoqué tenait à l’interdiction de contenir de clauses par lesquelles le délégataire prend à sa charge l'exécution de services ou de paiements étrangers à l'objet de la délégation, ce qui n’était pas propre à tel ou tel service public regroupé. Aussi, le Conseil d’État ajoute un nouveau considérant de principe en indiquant que :

« S’il est ainsi loisible à l’autorité délégante de regrouper au sein d’un même contrat ou d’un unique ensemble contractuel des services différents et de les confier à un même opérateur économique, un tel choix ne saurait lui permettre de déroger aux règles qui s’imposent à elle pour la dévolution et l’exploitation de ces services ».

Et de préciser que, s’agissant de la durée :

« dans le cas où la délégation des différents services est prévue pour une durée unique qui n’apparaît pas justifiée pour chacun d’entre eux, une telle durée unique ne peut alors être valablement prévue que si l’exploitation conjointe des services considérés est de nature à assurer une meilleure gestion de ceux-ci et si la durée unique correspond à la durée normalement attendue pour que le concessionnaire puisse couvrir les charges d’exploitation et d’investissement de l’ensemble des services ainsi délégués, compte tenu des contraintes d’exploitation, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers ».


On le voit, la condition initiale négative et discrétionnaire (ne pas conférer un périmètre manifestement ni regrouper des services manifestement sans lien) se transforme en condition positive sans référence au caractère manifeste (meilleure gestion et durée normalement attendue). Le contrôle du juge est alors plus exigeant, même s’il semble lié aux moyens invoqués : il semble que la justification du regroupement est plus grande dès qu’elle implique de contrôler des règles qui ne s’imposent qu’à certains services ou du moins dont l’application dépend des services, à l’image de la durée. Appliquant ce raisonnement, le Conseil d’État estime que la cour n’a pas commis de dénaturation en jugeant que la durée de 30 ans n’était pas excessive, en dépit de l’existence de subventions et de services qui, pour deux d’entre eux (stationnement de surface et gestion d’un parc existant), n’impliquait pas de gros investissements, faisant ainsi une analyse globale de l’équilibre de l’ensemble contractuel.

Le troisième moyen invoqué tenait à la prétendue illégalité d’un mécanisme de contribution publique venant, sous certaines conditions, compenser une diminution des recettes de stationnement payant sur voirie par rapport aux estimations prévisionnelles calculées par le délégataire (au-delà d’un différentiel de 15 %, la commune devait combler ce delta à hauteur de la moitié de celui-ci et jusqu’à hauteur de 300 000 euros annuels). C’est précisément le caractère systématique de cette compensation depuis 2005 qui est à l’origine de tous les litiges, y compris pénaux. Ce moyen se subdivisait en deux branches.

La première concernait le non-respect du principe d’équilibre budgétaire des SPIC communaux (L. 2224-1 CGCT) alors que le rapporteur public nous rappelait que telle était la nature du stationnement sous-terrain, contrairement au stationnement de surface, ce qui ne laisse pas d’étonner. L’argument ne prospère pas plus, la CAA n’ayant pas commis de dénaturation en que la commune n’établissait pas que les investissements nécessités par la construction d’un nouveau parc de stationnement souterrain et par la rénovation et l’entretien du parc de stationnement existant pourraient, eu égard à leur importance et au nombre d'usagers, être financés sans augmentation excessive des tarifs, une des exceptions au principe susvisé.

La deuxième branche concernait le non-respect du droit des aides d’État et plus précisément des conditions posées par la jurisprudence Altmark s’agissant des compensations d’obligations de service public. Contrairement à la célèbre affaire de la SNCM, le juge estime ici que la commune n’apporte pas la preuve que les conditions d’Altmark n’étaient pas remplies, il est vrai que dans l’affaire SNCM, la demande émanait d’un tiers et la charge de la preuve semblait plus équilibrée (CE 25 octobre 2017, n°403335, Société Corsica Ferries).

Au final, il est sans doute regrettable pour la commune que certains moyens n’aient été soulevés qu’en cassation et donc rejetés car nouveaux (à l’image du caractère excessif de la marge bénéficiaire, de l’ordre de 30 %), ni qu’elles n’aient pas cherché à obtenir la résiliation à titre subsidiaire, plus facile à obtenir que l’annulation alors que le contrat court jusqu’en 2035 avec une somme conséquente à verser annuellement au délégataire alors même qu’il est bénéficiaire...

Il est à noter que l’arrêt est également fiché sur un autre aspect, d’ordre contentieux cette fois. Les dispositions du CJA sur la médiation n’obligent pas le juge administratif à ordonner une médiation, même quand les parties sont d’accord, et il n’a même pas à répondre explicitement à cette demande.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public