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CJUE, 20 mars 2025, Associazione Nazionale Italiana Bingo – Anib, C‑728/22 à C‑730/22
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Il n’est pas possible de modifier des concessions par voie législative sans respecter les règles de modifications prévues par la directive concessions.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Avril 2025
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Commentaires de textes ou décisions
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► CJUE, 20 mars 2025, Associazione Nazionale Italiana Bingo – Anib, C‑728/22 à C‑730/22
Il n’est pas possible de modifier des concessions par voie législative sans respecter les règles de modifications prévues par la directive concessions.
► Règlements 2024/2747 du 9 octobre 2024, 2024/3110 du 27 novembre 2024 et 2025/40 du 19 décembre 2024
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Décision commentée :
CJUE, 20 mars 2025, Associazione Nazionale Italiana Bingo – Anib, C‑728/22 à C‑730/22
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
Si l’affaire présente des originalités factuelles, s’agissant d’un litige entre des opérateurs privés mais aussi avec une agence étatique et s’agissant d’une concession du jeu de Bingo, la solution adoptée n’en présente pas moins un intérêt pour toutes les concessions soumises à la Directive 2014/23. Était en cause la validité du régime dit « de prorogation technique » par lequel le gouvernement italien avait prolongé la durée de validité de certaines concessions et, en contrepartie, prévu une obligation le paiement d’une redevance mensuelle, augmentée par la suite, une interdiction de transfert de leurs locaux et, une obligation d’accepter ces prorogations afin d’être autorisés à participer à toute procédure de réattribution de ces concessions à l’avenir.
Le souhait de prolonger partait d’un bon sentiment : le régime antérieur à la directive concession supposait une mise en conformité cette directive impliquant un « l’alignement temporel » des points de départ de l’ensemble des concessions du secteur concerné et donc la prorogation de certaines. Un litige est né des difficultés financières de certains concessionnaires dus à cette nouvelle redevance puis à l’épidémie de Covid-19 qui conduit la Cour à juger la modification opérée par la législation est contraire à la Directive concessions.
L’arrêt, dans ses paragraphes 73 et 74, juge tout d’abord, en dépit d’un considérant de la directive, que les règles de modifications ne concernent pas que les parties au contrat :
« l’article 43 de la directive 2014/23 a procédé à une harmonisation exhaustive des hypothèses dans lesquelles, d’une part, les concessions peuvent être modifiées sans pour autant que l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution de concessions conformes aux règles établies par cette directive soit nécessaire à cet effet et, d’autre part, une telle procédure d’attribution est requise en cas de modification des conditions de la concession ; qu’il ne ressort pas du libellé de cet article 43 que celui-ci viserait uniquement les modifications effectuées à la suite d’une négociation entre le concessionnaire et le pouvoir adjudicateur, à l’exclusion des modifications imposées unilatéralement par la voie législative. Dans ce contexte, le fait que le considérant 75 de la directive 2014/23 précise qu’une modification substantielle de la concession atteste l’intention des parties de renégocier les conditions essentielles de celle-ci ne peut limiter le champ d’application dudit article 43, tel qu’il ressort du libellé clair de ce dernier ».
L’arrêt est ensuite intéressant en ce qu’il passe au crible les modifications opérées par la législation au crible des hypothèses autorisant les modifications et plus particulièrement celle de la modification non substantielle et de la modification inférieure à 10 % du montant de la concession :
- La modification ne peut trouver sa source dans une clause du contrat puisqu’elle est législative ;
- Pour la circonstance imprévue, les travaux ou services devenus nécessaires et le remplacement d’un nouveau concessionnaire, il appartiendra à la juridiction de renvoi de les examiner faute pour elle d’avoir fait état d’aucune cause particulière la justifiant quand elle a saisi la Cour de justice ;
- Pour la modification substantielle, la Cour prend le soin d’argument longuement :
« 83 En vertu de l’article 43, paragraphe 4, première phrase, de la directive 2014/23, une modification doit être considérée comme étant substantielle « lorsqu’elle rend les caractéristiques de la concession substantiellement différentes de celles prévues initialement ».
84 Ainsi que le considérant 75 de cette directive l’indique, l’objectif de cette disposition est de veiller à ce qu’une nouvelle procédure d’attribution de concession soit engagée lorsque des modifications substantielles sont apportées à la concession initiale, notamment en ce qui concerne l’étendue et le contenu des droits et obligations réciproques des parties, y compris l’attribution de droits de propriété intellectuelle. C’est notamment le cas de conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure initiale, auraient influé sur son issue.
85 À cet égard, il est constant qu’une modification ayant notamment pour effet de renouveler ou de prolonger la durée d’une concession au-delà de celle prévue lors de l’attribution initiale de celle-ci rend les caractéristiques de cette concession substantiellement différentes de celles prévues initialement, puisqu’elle affecte un élément essentiel du contrat concerné, et que, si cette nouvelle caractéristique d’un élément essentiel de ce contrat avait été incluse dans la procédure initiale, cette dernière aurait attiré davantage de participants. Dès lors, une telle modification doit être considérée comme étant substantielle, les autres effets produits par cette modification ne pouvant qu’avoir accentué le caractère substantiel de celle-ci ».
La Cour juge ainsi que toute prolongation est, par nature, substantielle, alors qu’une formule passée aurait pu laisser entrevoir une porte : dans son arrêt du 18 septembre 2019, Commission c/ Italie ; elle avait jugé qu’« Il est constant que la modification du terme de la concession, lequel a été porté au 31 décembre 2046 en vertu de la convention unique de 2009, offre un important laps de temps supplémentaire à la SAT pour assurer l’exploitation du tronçon reliant Livourne à Cecina et que, dans la mesure où ce concessionnaire se rémunère au moyen de cette exploitation, il augmente considérablement sa rémunération. Cette prorogation de 18 ans et de 2 mois de la durée initiale de cette concession constitue, par conséquent, en vertu des principes rappelés au point 58 du présent arrêt, une modification substantielle des conditions de la concession existante ». Une interprétation a contrario aurait pu conduire à dire qu’un laps de temps non important n’entrainait pas une modification substantielle. Tel n’est donc pas le cas.
Enfin, elle apporte des précisions s’agissant du calcul de 10 % : sur ce dernier point, la Cour ajoute qu’ « en cas de modification ayant pour effet, notamment, de prolonger la durée d’une concession, pour que celle-ci relève du cas de figure envisagé à l’article 43, paragraphe 2, de cette directive, cette augmentation, majorée de la conversion en unités de temps des éventuels autres effets de cette modification sur les facteurs pris en compte afin de déterminer la valeur initiale de ladite concession, ne doit pas représenter plus de 10 % de la durée initiale de celle-ci ». Elle précise que :
« 92 Certes, le régime de prorogation technique comporte également, pour le concessionnaire concerné, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi dans la question unique dans l’affaire C‑730/22, une interdiction de transfert de ses locaux et une obligation d’accepter toute prorogation décidée par le législateur national afin d’être autorisé à participer à toute procédure de réattribution de la concession concernée à l’avenir.
93 Toutefois, l’ajout d’une telle obligation ou interdiction ne saurait, en tout état de cause, conduire à ramener l’incidence de l’augmentation de la durée des concessions sur la valeur initiale de la concession concernée en dessous du seuil de 10 %. En effet, la première de ces modifications a précisément eu pour effet d’obliger les concessionnaires concernés à poursuivre leur activité dans les mêmes conditions que celles servant à déterminer la valeur initiale de leur concession, tandis que la seconde, si elle restreint les droits de ces concessionnaires, n’apparaît pas pour autant susceptible d’exercer une influence sur la valeur de ces concessions, telle que celle-ci est définie à l’article 8 de la directive 2014/23 ».
Cette interprétation stricte de la directive rompt donc avec la souplesse qui avait semblé émerger de l’arrêt sur le Pont de Gênes, qui doit donc être perçu comme un arrêt d’espèce.
Enfin, sur un dernier point, la Cour juge qu’un droit national peut priver l’autorité adjudicatrice du pouvoir d’engager, à la demande d’un concessionnaire, une procédure administrative visant à modifier les conditions d’exploitation de la concession concernée, lorsque des événements imprévisibles et indépendants de la volonté des parties influent de manière significative sur le risque d’exploitation de cette concession.
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public