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CJUE, 22 oct. 2024, C-652/22, Kolin

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

L'accès des opérateurs de pays tiers n’ayant pas conclus un accord avec l’UE aux marchés publics dans l'Union est possible sous conditions.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Décembre 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 13 décembre 2024, n°489720, Commune de Puget-Ville, classé B
Le point de départ de la garantie de parfait achèvement court à compter de la réception, même « sous réserve ».


► CE, 20 décembre 2024, 475416, Société JSA Technology, classé B
Le point de départ du délai de prescription de 10 ans de la responsabilité contractuelle de droit commun court à compter de la réception, même avec réserve ou sous réserve.


CE, 20 décembre 2024, 488339, Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, classé B
La prescription quinquennale de droit commun ne peut pas se cumuler avec la prescription quadriennale des créances des personnes publiques.


CJUE, 22 octobre 2024, C-652/22, Kolin
L'accès des opérateurs de pays tiers n’ayant pas conclus un accord avec l’UE aux marchés publics dans l'Union est possible sous conditions.

 

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Décision commentée :

CJUE, 22 oct. 2024, C-652/22, Kolin

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Commentaire de la décision :


Dans le cadre de la construction d’une ligne ferroviaire en Croatie, l’entité adjudicatrice avait admis la candidature d’une entreprise turque nommée Kolin avant de choisir l’offre de Strabag, une entreprise autrichienne. La capacité de cette dernière étant remise en cause, l’entité adjudicatrice avait adopté une nouvelle décision à la suite de la fourniture de références supplémentaires qui n’étaient pas présentes dans la candidature initiale. Kolin contesta cette nouvelle décision en posant la question de savoir si la Directive 2014/25 autorisait une telle modification de la procédure, ce qui amena la Cour croate compétente à poser une question préjudicielle. Mais la Cour déclare la demande de question préjudicielle irrecevable en précisant les droits des entreprises émanant de pays tiers à l’Union européenne et n’ayant pas conclus d’accord portant sur les marchés publics, ce qui est le cas de la Turquie. La portée de cet arrêt s’étend aux pouvoirs adjudicateurs et aux concessions.

En premier lieu, seule l’Union est compétente pour adopter un acte de portée générale autorisant ou interdisant l’accès des entreprises de pays tiers, les Etats-membres n’ayant pas de compétence concernant la politique commerciale commune. Pourtant, il pouvait être déduit du règlement (UE) 2022/1031 du 23 juin 2022 dit IMPI habilitant la Commission à restreindre l'accès des opérateurs de pays tiers que cet accès était ouvert tant que la Commission ne l’avait pas mis en œuvre. Mais la Cour choisit une troisième voie, qui consiste à s'en remettre au choix discrétionnaire de l’autorité contractante.

En deuxième lieu toutefois, si le droit de l’Union n’empêche pas des autorités contractantes d’admettre la candidature d’entreprises de pays tiers, ces dernières ne sauraient bénéficier du traitement « non moins favorable » réservé aux opérateurs qui peuvent se prévaloir de tels accords internationaux (Dir. 2014/25/UE, 26 févr. 2014, art. 43 et Dir. 2014/24/UE, 26 févr. 2014, art. 25). Les autorités contractantes peuvent donc décider s’il convient d’admettre à une procédure de passation d’un marché public les opérateurs économiques non couverts, s’il convient de prévoir dans les documents de marché les modalités d’un traitement différencié, notamment pour refléter la différence objective entre la situation juridique de opérateurs non couverts et celle des opérateurs couverts. Cette position conforte le droit français qui prévoit expressément que la possibilité pour les acheteurs d'introduire des restrictions au détriment des opérateurs des pays tiers lorsque cela n'enfreint aucun accord international (CCP, art. L. 2153-1).

En troisième lieu, l’opérateur ponctuellement admis à se porter candidat et à déposer une offre ne bénéficiant pas pour autant des garanties des directives commande publique, tout recours de cet opérateur contre la procédure d’attribution ne pourra être examiné par le juge national qu’à la lumière du seul droit national et non du droit de l’Union européenne, y compris tel que transposé par le droit national.

Cet arrêt pose néanmoins un certain nombre de questions. A partir du moment où la Cour admet « qu'il est concevable que les modalités de traitement de tels opérateurs doivent être conformes à certaines exigences, telles que celles de transparence ou de proportionnalité ». Mais on ne peut s’empêcher de penser que cela revient à faire application du droit de l’Union, surtout lorsque la Cour admet qu’on puisse traiter différemment des entreprises placées dans des situations différentes. D’autre part, admettre qu’une autorité contractante puisse décider d'exclure de ses marchés ou pas les opérateurs issus d'États tiers, ce n’est certes pas reconnaître une compétence aux Etats-membres mais c’est la reconnaitre aux autorités contractantes.

Enfin, comme le souligne le Professeur Etienne Muller (Contrats et marchés publics, décembre 2024), le débat ne devrait pas être là mais sur l’origine des produits :

« de récentes études tendent en revanche à montrer que la part des importations de produits manufacturés dans la commande publique européenne est beaucoup plus importante qu'on ne le pensait jusqu'alors, et significativement plus élevée qu'aux États-Unis, surtout en France où elle dépasserait 65 % (Th. Grjebine et J. Héricourt, Commande publique de bien manufacturés : qui recourt le plus aux importations ? : The Conversation, 14 nov. 2023, https://bit.ly/40hsXxk (consulté le 23 oct. 2024)). C’est donc en termes d'origine des produits, plutôt que de nationalité des opérateurs, que mériterait d'être appréhendé le problème du degré souhaitable d'ouverture de la commande publique européenne, ce que les textes tant européens que nationaux permettent également de faire ».


François LICHERE
Professeur agrégé en droit public