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CE, 20 décembre 2024, 475416, Société JSA Technology, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Le point de départ du délai de prescription de 10 ans de la responsabilité contractuelle de droit commun court à compter de la réception, même avec réserve ou sous réserve.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Décembre 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 13 décembre 2024, n°489720, Commune de Puget-Ville, classé B
Le point de départ de la garantie de parfait achèvement court à compter de la réception, même « sous réserve ».


► CE, 20 décembre 2024, 475416, Société JSA Technology, classé B
Le point de départ du délai de prescription de 10 ans de la responsabilité contractuelle de droit commun court à compter de la réception, même avec réserve ou sous réserve.


CE, 20 décembre 2024, 488339, Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, classé B
La prescription quinquennale de droit commun ne peut pas se cumuler avec la prescription quadriennale des créances des personnes publiques.


CJUE, 22 octobre 2024, C-652/22, Kolin
L'accès des opérateurs de pays tiers n’ayant pas conclus un accord avec l’UE aux marchés publics dans l'Union est possible sous conditions.

 

Brèves

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Décision commentée :

CE, 20 décembre 2024, 475416, Société JSA Technology, classé B

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Commentaire de la décision :


Les conclusions du rapporteur public Nicolas Labrune évoquent ici une autre question délicate : celle du point de départ de la responsabilité contractuelle de droit commun.

En droit public, le Conseil d’Etat a depuis longtemps jugé que :

« la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve et qu'elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage ; que si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure ; qu'ainsi la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif ; que seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard ».


Il a pu ajouter à cette formule de principe, en 2008, que « tant qu'aucun décompte général et définitif n'est intervenu, la responsabilité contractuelle des cocontractants de l'administration peut être recherchée à raison des dommages nés de l'exécution du contrat ; qu'aucune règle applicable en droit public n'a pour effet de limiter à dix ans le délai dans lequel cette responsabilité est susceptible d'être recherchée » et que donc c’est la prescription de 30 ans qui devait alors s’appliquer (CE, 14 mai 2008, OPAC de la Seine-Maritime, 295253). Il entendait ainsi prendre le contrepied de la Cour de cassation qui, d’après Nicolas Labrune :

« répondant à l’appel de la doctrine privatiste d’unifier les délais en matière de responsabilité des constructeurs, avait adopté une solution fort constructive au regard de la rédaction de l’ancien article 2270 du code civil, dont la lettre ne visait expressément, par le jeu des renvois aux articles 1792 à 1792-2 de ce code, que le cas de la garantie décennale : elle avait jugé que toute action en responsabilité contractuelle de droit commun dirigée contre un constructeur était soumise non pas à la prescription trentenaire de droit commun prévue par l'ancien article 2262 du code civil mais à un délai de prescription de 10 ans à compter de la réception des travaux (Cass. Civ. 3ème, 17 mars 1993, n° 90-20.640 et 90-20.798, Bull. III) ».


La loi du 17 juin 2008 ayant repris à son compte la jurisprudence civiliste et le Conseil d’Etat ayant jugé qu’elle s’applique aux actions en responsabilité contractuelle postérieures à son entrée en vigueur (CE 12 avr. 2022, 448946, Société Arest, aux Tables), la question du point de départ se posait dans l’affaire commentée.

La lettre du texte de l’article 1792-4-3 le fait partir à la réception des travaux. Mais que se passe-t-il si la réception n’est pas intervenue ou qu’elle a été assortie de réserves ?

Sur la première hypothèse, qui n’avait pas à être tranchée en l’espèce, le rapporteur public propose de s’aligner sur la position de la Cour de cassation en l’absence de « raison propre au droit public » : celle-ci a jugé que, faute d’autre prescription applicable, la prescription quinquennale de droit commun doit s’appliquer (Cass. Civ. 3ème, 19 mars 2020, 19-13.459, au Bulletin), contrairement à ce qu’elle jugeait dans l’état du droit antérieur à la loi du 17 juin 2008. Et d’après Nicolas Labrune, « cette solution nous semblerait cohérente avec le fait que vous avez déjà jugé que les actions du maître d’ouvrage fondées sur la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol sont régies, avant comme après l’entrée en vigueur de la loi de 2008, par la prescription de droit commun - trentenaire avant, quinquennale après (CE, 10 octobre 2022, Société Eiffage Construction, n° 454446, aux Tables). En effet, si vous jugez de la sorte, c’est parce que, lorsque la réception n’a été acquise qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives, elle n’a pas l’effet extinctif qu’elle a normalement sur les relations contractuelles (à cet égard, voyez CE, Section, 15 juillet 2004, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région Est de Toulon, n° 235053, p. 345 ».

Le rapporteur public ne précise pas à compter de quelle date ce délai de 5 ans court. Si l’on suit la Cour de cassation, c’est « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », c’est-à-dire, dans l’affaire jugée par elle en 2020, « à compter du jour où la société Bouygues avait connu les faits lui permettant d'exercer son action à l'encontre de la société STPCL, soit le jour de l'assignation en référé du 25 mars 2010 ». Difficile d’imaginer sa transposition en matière de marché de travaux sans réception.

En ce qui concerne la deuxième hypothèse, c’est-à-dire la réception avec réserve ou sous réserve, comme en l’espèce, l’alternative était soit de s’aligner sur la garantie de parfait achèvement (à compter de la réception), soit sur la garantie décennale post-contractuelle (à compter de la levée des réserves). Le rapporteur public proposa de la faire partir de la réception car, sinon, « cela reviendrait en quelque sorte à assimiler une réception assortie de réserves à une absence de réception tant que les réserves ne sont pas levées » et aussi parce que la réception « met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage ». En outre, le champ de la responsabilité contractuelle de l’article 1792-4-3 se réduirait au cas où le maître d’ouvrage recherche la responsabilité des constructeurs à raison des droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, ou celle du maître d’œuvre à raison de manquements à son devoir de conseil. La responsabilité contractuelle de 10 ans serait donc par trop vidée de sa substance. Le Conseil d’Etat a suivi son rapporteur public.

Au passage, le Conseil d’Etat suit également son rapporteur public qui avait proposé de juger que la cour s’était méprise en appliquant la prescription quinquennale et qu’il convenait de procéder à une substitution de motifs.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public