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CE, 20 décembre 2024, 488339, Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

La prescription quinquennale de droit commun ne peut pas se cumuler avec la prescription quadriennale des créances des personnes publiques.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Décembre 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 13 décembre 2024, n°489720, Commune de Puget-Ville, classé B
Le point de départ de la garantie de parfait achèvement court à compter de la réception, même « sous réserve ».


► CE, 20 décembre 2024, 475416, Société JSA Technology, classé B
Le point de départ du délai de prescription de 10 ans de la responsabilité contractuelle de droit commun court à compter de la réception, même avec réserve ou sous réserve.


CE, 20 décembre 2024, 488339, Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, classé B
La prescription quinquennale de droit commun ne peut pas se cumuler avec la prescription quadriennale des créances des personnes publiques.


CJUE, 22 octobre 2024, C-652/22, Kolin
L'accès des opérateurs de pays tiers n’ayant pas conclus un accord avec l’UE aux marchés publics dans l'Union est possible sous conditions.

 

Brèves

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Décision commentée :

CE, 20 décembre 2024, 488339, Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, classé B

► Consulter le texte de la décision.

 

Commentaire de la décision :


L’affaire concernait une action en responsabilité d’un centre hospitalier contre, notamment, l’Etat conducteur d’opération. Faute de réception, en raison de l’ajournement des travaux décidé par le centre hospitalier à la suite de diverses carences, ce dernier a vu sa demande d’indemnisation de plus de 6 millions d’euros rejetée comme étant prescrite par la CAA de Paris.

Le rapporteur public proposa en premier lieu de juger que la prescription quadriennale de la loi de 1968 était bien applicable à cette créance.

En effet, le champ de la prescription quadriennale est très large, puisqu’elle concerne, selon l’article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968, « toutes créances ». Seules des règles de prescription spéciales font céder la prescription quadriennale : l’article 1er de la loi de 1968 dispose que la prescription quadriennale s’applique « sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi ». C’est le cas des créances d’origine fiscale du fait de l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales (CE, 14 févr. 2001, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ S.A. Champagne Jeanmaire, 202966, p. 60), de la prescription décennale prévue à l’article L. 1142-28 du code de la santé publique pour la réparation des dommages résultant d’infections nosocomiales (CE, Avis, 12 févr. 2020 , Mme Collins et autres, 435498, au Recueil) et pour la responsabilité décennale de l’Etat agissant comme constructeur (CE, 18 févr. 1983, Ministre de l’agriculture c/ Commune d’Amagne, 28791, aux Tables).

Mais pour Nicolas Labrune, aucune prescription spéciale ne peut ici faire obstacle à l’application de la prescription quadriennale en l’absence de réception des travaux. La seule prescription concurrente aurait pu être la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil « qui, étant la prescription civile de droit commun, nous paraît difficilement susceptible d’être regardée comme une règle spéciale de nature à évincer la prescription quadriennale ».

Mais c’est là que le raisonnement du rapporteur public apparaissait comme un peu trop original. Il proposait en effet de juger que l’application de la prescription quadriennale ne faisait pas obstacle à ce que la prescription civile de droit commun quinquennale lui soit également applicable.

Il s’appuyait pour ce faire en particulier sur les motifs de la décision URSSAF du Loiret : « la circonstance que des dispositions législatives (…) propres à certaines dettes instituent des prescriptions particulières qui sont opposables aux collectivités publiques comme à tout autre débiteur, ne fait pas obstacle à ce que la déchéance quadriennale puisse être également opposée à ces dettes » (CE, Section, 22 nov. 1963, URSSAF du Loiret, 58044, p. 575). En conséquence, les dispositions qui prévoyaient que les dettes concernant les cotisations de sécurité sociale se prescrivaient par cinq ans « n’avaient ni pour objet ni pour effet d’écarter l’application à ces dettes » de la déchéance quadriennale, lorsqu’étaient en cause des cotisations dues par l’Etat en sa qualité d’employeur. En deuxième lieu, la loi de 1968 ne prévoit sa non application que pour les prescriptions particulières mais aucunement pour des prescriptions générales comme celle du Code civil. En conséquence l’Etat, qui bénéfice de ce régime dérogatoire qu’est la prescription quadriennale, devait également bénéficier de celle de droit commun.

A la lecture de ces conclusions, on ne peut toutefois s’empêcher de penser que la loi de 1968 aurait pu être présentée comme une lex specialia. Il est vrai que, dans les circonstances de l’espèce, l’application de la prescription quinquennale aurait eu pour effet de protéger l’Etat dans l’hypothèse où il n’aurait pas opposé la prescription quadriennale à temps. Selon le rapporteur public :

« l’effet concret d’un cumul entre les deux prescriptions sera donc seulement que l’Etat pourra opposer, à titre subsidiaire, la prescription quinquennale quand il se voit empêcher d’opposer la prescription quadriennale. Vous savez en effet que la prescription quadriennale doit être invoquée, selon l’article 7 de la loi de 1968, « avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond » ce dont il résulte, notamment, qu’elle ne peut être soulevée pour la première fois en appel alors même qu’elle serait applicable à la créance en litige. La solution du cumul de prescriptions que nous vous proposons permettrait donc d’éviter cette situation paradoxale où la personne publique qui ne pourrait plus, pour des raisons procédurales, opposer la prescription quadriennale, ne pourrait pas non plus se prévaloir de la prescription de droit commun que tout débiteur privé peut pourtant invoquer à tout moment de la procédure en vertu de l’article 2248 du code civil[1], et se retrouverait donc moins bien protégée qu’un débiteur privé, alors même que l’esprit de la loi de 1968 est, au contraire, d’instituer une protection renforcée des intérêts financiers publics ».


Mais on ne voyait guère pourquoi l’Etat se verrait « empêcher d’opposer la prescription quadriennale » si ce n’est sa propre incurie à soulever la prescription quadriennale à temps. Il eut été choquant qu'il puisse invoquer cette prescription quinquennale (et avec lui les autres personnes publiques soumises à la loi du 31 décembre 1968) alors que les créanciers ne pouvaient pas s’en prévaloir. Sans doute faut-il voir là l’explication au fait que le Conseil d’Etat n’a pas suivi, sur ce point, son rapporteur public. Cela étant, cela n’aurait guère changé la solution en l’espèce, compte tenu du point de départ retenu.

Appliquant cette prescription quinquennale aux autres constructeurs, le débat portait en effet sur la détermination du point de départ de celle-ci. La rapporteur public a rappelé que si le nouvel article 2224 du Code civil prévoit expressément le point de départ de la prescription quinquennale comme étant le « jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », l’ancien article 2262 en revanche avait été interprété par une décision Société Eiffage Construction comme faisant partir le délai de l’ancienne prescription trentenaire à compter de « la manifestation du dommage » (CE, 10 oct. 2022, Société Eiffage Construction, 454446, aux Tables). Mais Nicolas Labrune proposa de la cantonner à ce à quoi elle correspondait, c’est-à-dire à l’action fondée sur la responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol. Assez justement nous semble-t-il, il estimait que :

« Ainsi que vous l’expliquait notre collègue Marc Pichon de Vendeuil dans ses conclusions sur la décision Société Eiffage Construction, s’il y a lieu, en matière de responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol du constructeur, de distinguer entre les deux points de départ de la prescription, avant et après la réforme de 2008, c’est parce qu’en cette matière, la connaissance des faits de nature à déclencher le cours de la prescription quinquennale doit s’entendre comme la connaissance du caractère frauduleux ou dolosif des agissements à l’origine du dommage, laquelle est susceptible d’intervenir bien après la manifestation du dommage elle-même. La divergence entre les deux points de départ n’est donc justifiée que par les particularités de la responsabilité pour fraude ou dol ».


En conséquence, le Conseil d'Etat juge que la date d’ajournement des travaux de 2007 pouvait correspondre à la connaissance des faits permettant au Centre hospitalier d’exercer l’action car « les conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas » une aggravation de nature à justifier un report du point de départ (CE, 7 févr. 2023, M. et Mme Brossaud et autre, 454109, aux Tables). Le centre hospitalier avait certes saisi le TA d’une demande d’expertise dès 2007 mais l’expert ayant rendu son rapport en 2014, il n’a saisi le TA d’une action en responsabilité contractuelle qu’en 2015, soit 8 ans après la connaissance des faits… Son action est donc prescrite.

Cette solution, non pas tant sur le plan des principes mais sur leur application aux faits de l’espèce, est donc très protectrice des deniers de l’Etat, ce qui ne saurait surprendre dans le contexte actuel, même si cela se fait ici au détriment des deniers d’un centre hospitalier.


[1] « Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel ».

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public