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CE, 13 décembre 2024, 489720, Commune de Puget-Ville, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Le point de départ de la garantie de parfait achèvement court à compter de la réception, même « sous réserve ».

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Décembre 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 13 décembre 2024, n°489720, Commune de Puget-Ville, classé B
Le point de départ de la garantie de parfait achèvement court à compter de la réception, même « sous réserve ».


► CE, 20 décembre 2024, 475416, Société JSA Technology, classé B
Le point de départ du délai de prescription de 10 ans de la responsabilité contractuelle de droit commun court à compter de la réception, même avec réserve ou sous réserve.


CE, 20 décembre 2024, 488339, Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, classé B
La prescription quinquennale de droit commun ne peut pas se cumuler avec la prescription quadriennale des créances des personnes publiques.


CJUE, 22 octobre 2024, C-652/22, Kolin
L'accès des opérateurs de pays tiers n’ayant pas conclus un accord avec l’UE aux marchés publics dans l'Union est possible sous conditions.

 

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Décision commentée :

CE, 13 décembre 2024, 489720, Commune de Puget-Ville, classé B

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Commentaire de la décision :


La garantie de parfait achèvement est, en droit des contrats administratifs, une garantie contractuelle et non légale puisque le Conseil d’Etat n’a pas reconnu l’existence d’un principe général découlant de l’article 1792-6 du code civil (CE, Section, 28 févr. 1986, Entreprise Blondet, 40381 et 40879, p. 55). Aux termes du CCAG travaux (art. 44.1 de la version 2021), elle consiste en l’obligation, pour le titulaire du marché de travaux et pendant un délai d’un an, de remplir les missions suivantes :

« a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41.5 et 41.6 ;
b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître d'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ;
c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs, dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché ; »

L’article 41.5 correspond à un cas de réception dite « sous réserve » : celui où des travaux n’ont pas été réalisés. Il se distingue de l’article 41.4 qui vise l’autre cas de réception « sous réserve » : celui d’une réception sous réserve d’épreuve, cas qui est néanmoins inclus implicitement dans la garantie de parfait achèvement par l’article 44.1. L’article 41.6 vise quant à lui la réception « avec réserve », c’est-à-dire des travaux réalisés mais en quelque sorte mal réalisés puisque le titulaire devra remédier aux « imperfections et malfaçons ».


L’existence de réserves implique le maintien de la relation contractuelle pour la part des travaux réservés (CE, 16 janv. 2012, Commune du Château d’Oléron, 352122, T. pp. 850-854-855-907) et ce jusqu’à la levée des réserves (CE, 26 janv. 2007, Société Mas, Entreprise Générale, 264306, T. p. 948).

On doit toutefois noter que le délai d’un an de la GPA se combine en réalité avec l’obligation de lever les réserves dans les délais prescrits par le maître de l’ouvrage et dans un maximum de trois mois pour l’art. 41.5 ou maximum trois mois avant l’expiration du délai pour l’art. 41.6. Mais comme, d’une part, la garantie de parfait achèvement s’étend à la reprise des désordres qui apparaissent et sont signalés dans l’année suivant la date de réception et que, d’autre part, il existe d’autres obligations au titre de la GPA (cf. b et c ci-dessus), la fin du délai de la GPA marque souvent la fin de la relation contractuelle, ce qui entraine un certain nombre de conséquences : « A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. Les sûretés éventuellement constituées sont libérées dans les conditions réglementaires » (art. 44.1, avant-dernier alinéa).

L’articulation entre levée des réserves et garantie de parfait achèvement est parfois délicate dans la mesure où, comme on vient de le voir, le contenu des obligations ne se résume pas à la levée des réserves mais consistent à remédier à « tous désordres » et à procéder aux « travaux confortatifs ou modificatifs ».

La question se pose donc de savoir si ce délai d’une année court à compter de la réception ou bien à compter de la levée des réserves.

S’agissant de la réception « avec réserves », le Conseil d’Etat a déjà posé la règle selon laquelle c’est bien à la réception que le délai court (CE, 17 mars 2004, Commune de Beaulieu-sur-Loire et Société Groupama Loire Bourgogne-Samda, 247367, T. p. 769) mais il ne s’était jamais prononcé sur cette question au regard de la réception « sous réserve ».

Dans l’arrêt commenté, il suit son rapporteur public qui lui a proposé d’étendre la solution de la réception « avec réserve » à la réception « sous réserve ». Pour le Conseil d’Etat :

« Il résulte de ce qui est dit aux points 2 à 4 que, sauf stipulations contraires du contrat, la réception des travaux, même lorsqu’elle est prononcée avec réserves en application des stipulations de l’article 41.6 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux ou sous réserve de l’exécution concluante d’épreuves ou de l’exécution de prestations en application des stipulations des articles 41.4 ou 41.5 du même cahier, fait courir le délai de garantie de parfait achèvement à compter de la date d’effet de cette réception telle que prévue par l’article 41.3 du même cahier ».


Les points 2 à 4 de l’arrêt ne sont que la citation, pour l’essentiel, des dispositions du CCAG de 2009 applicable au litige tranché par le Conseil d’Etat. On notera au passage que la rédaction du CCAG de 2009 est sensiblement la même que celui de 2021 précité, à ceci près qu’il ajoutait une obligation au titre de la GPA : celle de « Remettre au maître d’œuvre les plans des ouvrages conformes à l’exécution dans les conditions précisées à l’article 40 ».

A lire le Conseil d’Etat donc, la solution découlerait naturellement de la lettre même du texte du CCAG travaux de 2009. Or, pas plus dans ce CCAG que dans celui de 2021, la solution ne s’imposait, ou alors on ne voit pas bien pourquoi l’arrêt aurait mérité un classement B.

Les conclusions de Nicolas Labrune révèlent d’ailleurs que la discussion a dû être intense au sein du Conseil d’Etat. Il commençait, en effet, par évoquer des arguments contraires : la garantie décennale part à compter de la levée des réserves (CE 21 février 1986, Société peinture et reconstruction, 34635, p. 44) alors qu’elle a elle, comme la GPA, vocation à être mobilisée seulement une fois que les travaux ont été réalisés conformément au contrat. En outre :

« nous trouvons qu’il y a quelque chose d’un peu paradoxal à ce que la garantie de parfait achèvement coure dès la réception pour les parties de l’ouvrage qui ont fait l’objet de réserves alors même que, comme nous vous l’avons dit, le maître d’ouvrage peut de toute façon, pour ces parties et jusqu’à la levée des réserves, aller rechercher la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs ». Enfin, « faire partir la garantie de parfait achèvement de la réception y compris pour les travaux réservés n’est pas dénué d’incidence sur la protection qu’offre concrètement cette garantie au maître d’ouvrage. Ainsi, dans le cas où des désordres surviennent à la suite des travaux de reprise ayant permis la levée des réserves, ceux-ci ne seront couverts par la garantie de parfait achèvement que si le maître d’ouvrage les signale dans l’intervalle de temps qui sépare la levée des réserves et le premier anniversaire de la réception. Et il peut même arriver que la garantie de parfait achèvement expire avant la levée des réserves, si celle-ci est tardive ».


Mais il ajoutait que, finalement, si le Conseil d’Etat a retenu cette solution pour la réception avec réserve (CE, 26 janvier 2007, 264306, Société Mas, Entreprise générale, précité), « c’est, pensons-nous, parce qu’elle est plus fidèle à l’histoire juridique des marchés publics de travaux et, surtout, parce qu’elle est en réalité la seule possible au regard de la lettre même du CCAG ». L’histoire renvoie à la solution qui prévalait avant 1976, avec le système de la double réception. Mais surtout, les stipulations même des CCAG Travaux depuis 1976 (et rappelées plus haut) vont toutes dans le même sens : si jamais le délai des obligations de la GPA partait seulement de la levée des réserves, elles n’auraient tout simplement aucun sens puisqu’elles renvoient aux hypothèses de réserves. 

« Enfin, si l’article 44.1 prévoit que le délai de la garantie de parfait achèvement est « d'un an à compter de la date d'effet de la réception », nous ne croyons pas qu’il faille y voir l'indice de ce que la réception devrait être regardée comme ne produisant ses effets que le jour de la levée des réserves et que ce ne serait donc qu’à cette date que commencerait à courir la garantie. Cette référence à la « date d’effet » de la réception vise en effet plutôt à couvrir le cas, assez courant en pratique, où les parties contractantes s’accordent pour donner une portée rétroactive à la réception ».


Puis le rapporteur public se pencha plus précisément sur la question de savoir s’il fallait traiter différemment le cas de la réception « sous réserve » de la réception « avec réserve », ce qu’il dénie pour trois arguments :
  1. La lettre du texte est identique ;
  2. S’il existe une différence de régime en ce qui concerne la procédure d’établissement du décompte général (CE, 8 déc. 2020, 437983, Société Sogetra, T. p. 837 et 1er juin 2023, 469268, Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, rec. Tables), c’est parce que le CCAG lui-même, en son article 13.3.2 relatif à la procédure d’établissement du décompte, procède à cette distinction entre réception avec et sous réserves
  3. Enfin retenir un point de départ différent de la garantie de parfait achèvement paraîtrait difficilement praticable dans les cas – fréquents en pratique – de réception « mixte », c’est-à-dire lorsqu’une même partie d’un ouvrage fait l’objet d’une réception à la fois avec réserves, du fait de certaines malfaçons, et sous réserves de l’exécution de prestations non réalisées.

Cet argument est sans doute le plus pertinent d’autant qu’en l’espèce, la réception avait été d’une part, assortie de réserves et, d’autre part, prononcée sous réserve de l’exécution concluante d’épreuves et de l’exécution d’autres prestations, comme nous l’apprend le Conseil d’Etat. On peut aussi ajouter que, en ce qui concerne la réception sous réserve de réalisation d’épreuves, le CCAG prévoit en son article 41.4 la possibilité de « retirer » la réception si les épreuves ne sont pas satisfaisantes. Il existe donc des moyens d’action en pareil cas, même s’il est probable que cela ne vaille pas pour l’autre réception sous réserve.

Il est à souligner que cette solution jurisprudentielle est faite sous réserve de « stipulations contraires du contrat ». Cette incise allait de soi s’agissant d’une garantie purement contractuelle mais cela va mieux en le disant (et encore mieux en l’écrivant). Il est à parier que les personnes publiques ne s’en priveront pas, comme elles le faisaient déjà en pratique en prévoyant parfois un point de départ de la GPA à la levée des « sous-réserves ». Alternativement ou cumulativement, elles pourraient décider d’allonger le délai de la GPA.

On relèvera que, par ailleurs, le Conseil d’Etat indique que, sauf stipulation contraire, les pénalités de retard ne s’appliquent pas « pour un retard pris dans la levée des réserves, lequel intervient nécessairement après la date fixée pour l’achèvement des travaux par la décision de réception en application de l’article 41.3 du même cahier ». La formulation est un peu ambiguë en ce qu’elle donne à croire que l’on parle du retard au regard du délai fixé pour lever les réserves. Mais les conclusions font plutôt penser que sont visés les retards en rapport avec le calendrier initial des travaux. Si tel est le cas, cela voudrait donc dire qu’il ne saurait y avoir, sauf stipulations contraires, application des pénalités de retard dès qu’il y a eu réception, même en cas de réception « sous réserve » de réalisation de prestations.

Au final, cette affaire souligne les difficultés de mise en œuvre de la GPA, en particulier dans un contexte de réception « sous réserve ». L’expression « réception sous réserve » n’est peut-être pas idéale d’ailleurs – on pourrait lui préférer l’expression de « réception sous conditions » car elle tend à la rapprocher de la réception avec réserve alors qu’on ne parle pas de la même chose. Or, si cet arrêt aligne le régime de la réception « sous réserve » avec celui de la réception « sous réserve », ce n’est que pour ce qui est du point de départ de la GPA. Comme indiqué plus haut, le CCAG distingue entre les deux pour ce qui est de la possibilité d’envoyer le projet de décompte final.

En outre, il y a quelque chose d’assez surprenant à assimiler les deux cas de réception « sous réserve », celle « sous réserve » de réalisation d’épreuves concluantes et celle « sous réserve » de réalisation de prestations, seule la première pouvant conduire à un retrait de la réception en cas d’épreuves non concluantes. En toute logique, dans le deuxième cas, on aurait dû considérer que la GPA ne partait qu’à compter de la réalisation de ces prestations et on peut se demander si le transfert de la garde de l’ouvrage à la réception a du sens dans ce cas.

Si le régime de la réception « sous réserve » présente quelques avantages pour les entreprises par rapport à l’absence de réception, il reste assez complexe à mettre en œuvre. Le choix, pour le maître d’ouvrage, entre absence de réception, réception partielle, réception avec réserve et/ou sous réserve (de réalisation d’épreuves et/ou de prestations) mériterait sans doute d’être simplifié.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public