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CJUE, 21 décembre 2023, C‑66/22, Infraestruturas de Portugal SA

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

La décision d’exclure ou de ne pas exclure un candidat au regard de sa fiabilité doit être motivée.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Janvier et Février 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 29 décembre 2023, n°488288, Société Pacific Mobile Télécom, classé B
Les principes constitutionnels de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats s’opposent à une loi de pays qui apporte une dérogation générale aux règles de publicité et de mise en concurrence pour la distribution d’électricité.


CJUE, 7 décembre 2023, aff. C-441/22, Zamestnik-ministar, et C-443/22, Obshtina Balchik
La modification d’un contrat consistant en un allongement des délais d’exécution est substantielle, ne passe pas forcément par un acte formel et un pouvoir adjudicateur diligent doit inclure des clauses de réexamen pour des causes de suspension prévisibles


CJUE, 21 décembre 2023, C‑66/22, Infraestruturas de Portugal SA
La décision d’exclure ou de ne pas exclure un candidat au regard de sa fiabilité doit être motivée.


CE, 22 décembre 2023, n°472699, Office public de l'habitat Domanys, classé B
Le devoir de conseil du maître d'œuvre s’étend à toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables.


Cass., Civ. 3eme, 26 octobre 2023, n°22-19.444
Une promesse de vente d’un terrain appartenant au domaine privé d’une commune, assortie de l'engagement des acquéreurs de construire plusieurs logements en mixité sociale, ainsi que la livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix de vente des terrains, d'un local brut et de places de stationnement n’est pas un marché de travaux.

 

Brèves

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Décision commentée :

CJUE, 21 décembre 2023, C‑66/22, Infraestruturas de Portugal SA

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Commentaire de la décision :

L’arrêt commenté va en réalité bien au-delà de ce qui est énoncé en exergue, même si la portée des autres solutions identifiées par la Cour est sans doute moindre.

Son premier apport consiste à affirmer que les motifs d’exclusion incluent « l’intégrité et la fiabilité qui sont susceptibles d’être mises en doute non seulement en cas de participation d’un tel opérateur à des comportements anticoncurrentiels dans le cadre de cette procédure mais également en cas de participation de cet opérateur à de tels comportements antérieurs ». Or, la Cour vise, par la référence à l’article 57.4, 1er alinée, tous les motifs d’exclusion laissés « à l’appréciation » de l’autorité contractante » comme le dit le Code de la commande publique. Cela semble vouloir dire que ce qui ressortait du cas de la mauvaise exécution d’un précédent contrat de la commande publique, dont la rédaction impliquait bien que n’était pas visé que le marché en cause, vaut pour tous les motifs d’exclusion facultatifs. On se demande si la Cour réalise bien la portée de ce qu’elle a écrit.

Le 2eme apport est de poser qu’une réglementation qui lie l’appréciation de l’intégrité et de la fiabilité des soumissionnaires aux conclusions d’une décision de l’autorité nationale de la concurrence « porte atteinte au pouvoir d’appréciation dont doit jouir le pouvoir adjudicateur dans le cadre de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2014/24 ». Certes, tel n’est pas le cas en droit français mais une des recommandations de la Chaire de droit des contrats publics dans son rapport sur « prévention de la corruption et contrats publics » était justement de confier l’appréciation de la réhabilitation à une autorité nationale. Il est vrai qu’était ici visé un cas d’exclusion automatique, aussi la portée de la solution de la Cour de justice ne s’étend pas, a priori, à une telle hypothèse.

Le 3eme apport de l’arrêt est donc l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de motiver sa décision sur la fiabilité d’un opérateur économique. La source de cette obligation, nous dit la Cour, ne réside pas dans la charte des droits fondamentaux, dont l’article 41, paragraphe 2, sous c), concerne exclusivement l’obligation de motiver les décisions qui s’impose aux « institutions, organes et organismes de l’Union ». En revanche, « le pouvoir adjudicateur doit se conformer au principe général du droit de l’Union relatif à une bonne administration, lequel emporte des exigences qu’il appartient aux États membres de respecter lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». Ainsi en va-t-il de l’obligation de motivation des motifs d’exclusion. A cet égard, il faut considérer comme surabondant la référence à l’article 55, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/24, qui dispose qu’à la demande du soumissionnaire concerné, les pouvoirs adjudicateurs communiquent, dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite, les motifs du rejet de son offre. Or là il est est question de rejeter un candidat.

Par obligation de motivation, la cour semble en effet viser une motivation spontanée, i.e. pas sur demande. En outre, cette obligation s’étend à la décision d’écarter un candidat comme à celle de ne pas l’écarter, du moins lorsque la raison de ne pas écarter est liée au caractère disproportionné de la mesure. Il y a une limite à la motivation spontanée dans le cas de l’admission d’un candidat puisque la Cour indique :

« Lorsque (comme c’est le cas en l’espèce) l’un des concurrents fait valoir qu’un autre opérateur tombe sous le coup d’un motif d’exclusion au titre de l’article 57, paragraphe 4, sous d), de la directive 2014/24, le pouvoir adjudicateur doit expliquer concrètement pour quelle raison il considère que ce candidat est fiable. La motivation doit, le cas échéant, s’étendre à l’évaluation des mesures correctrices que le soumissionnaire sanctionné a invoquées. »


Il n’en demeure pas moins que l’obligation de motivation vaut pour le cas de l’admission d’un candidat et non seulement pour le cas d’un rejet d’un candidat.

Léger assouplissement à cette obligation, le réceptacle de cette motivation peut consister en la décision finale d’attribution du marché au soumissionnaire retenu.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public