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Cass., Civ. 3eme, 26 octobre 2023, n°22-19.444

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Une promesse de vente d’un terrain appartenant au domaine privé d’une commune, assortie de l'engagement des acquéreurs de construire plusieurs logements en mixité sociale, ainsi que la livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix de vente des terrains, d'un local brut et de places de stationnement n’est pas un marché de travaux.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Janvier et Février 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 29 décembre 2023, n°488288, Société Pacific Mobile Télécom, classé B
Les principes constitutionnels de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats s’opposent à une loi de pays qui apporte une dérogation générale aux règles de publicité et de mise en concurrence pour la distribution d’électricité.


CJUE, 7 décembre 2023, aff. C-441/22, Zamestnik-ministar, et C-443/22, Obshtina Balchik
La modification d’un contrat consistant en un allongement des délais d’exécution est substantielle, ne passe pas forcément par un acte formel et un pouvoir adjudicateur diligent doit inclure des clauses de réexamen pour des causes de suspension prévisibles


CJUE, 21 décembre 2023, C‑66/22, Infraestruturas de Portugal SA
La décision d’exclure ou de ne pas exclure un candidat au regard de sa fiabilité doit être motivée.


CE, 22 décembre 2023, n°472699, Office public de l'habitat Domanys, classé B
Le devoir de conseil du maître d'œuvre s’étend à toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables.


Cass., Civ. 3eme, 26 octobre 2023, n°22-19.444
Une promesse de vente d’un terrain appartenant au domaine privé d’une commune, assortie de l'engagement des acquéreurs de construire plusieurs logements en mixité sociale, ainsi que la livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix de vente des terrains, d'un local brut et de places de stationnement n’est pas un marché de travaux.

 

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Décision commentée :

Cass., Civ. 3eme, 26 octobre 2023, n°22-19.444

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Commentaire de la décision :

L’enjeu de l’affaire touchait surtout à la compétence de la juridiction judiciaire puisqu’une solution contraire aurait conduit à conclure en l’existence d’un marché de travaux passé par une personne publique, et donc à un contrat administratif par détermination de la loi. En filigrane aurait alors pu se poser la question de la mise en concurrence formalisée, la commune ayant réalisé ici une mise en concurrence non formalisée. Mais la Cour de cassation ne procède pas à la requalification en appliquant a priori un raisonnement assez orthodoxe.

En premier lieu, elle s’applique à citer la jurisprudence européenne relative à la définition d’un marché de travaux en présence d’une opération de vente (CJUE, arrêt du 25 mars 2010, C-451/08, point 54) et la référence aux travaux « exécutés dans l'intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur » avant de l’appliquer négativement.


La Cour juge ici que la commune n'avait formulé aucune demande portant sur la structure architecturale des bâtiments, même s'ils comportaient la création de logements sociaux sur le territoire communal, le pourcentage de logements sociaux (40) correspondant aux exigences du plan local d’urbanisme. En conséquence, ces travaux-là n’ont pas été exécutés dans l'intérêt économique direct de la commune, la commune n’ayant exercé aucune influence déterminante sur leur nature ou leur conception.

C’est peut-être sur la suite que le débat peut avoir lieu, s’agissant des locaux remis à la commune comme paiement partiel du prix. En vertu de la notion de contrat mixte (article 23 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 applicable à l’espèce) : 

« Lorsque le contrat unique porte à la fois sur des prestations qui relèvent de la présente ordonnance et des prestations qui n'en relèvent pas, la présente ordonnance n'est pas applicable si les prestations ne relevant pas de la présente ordonnance constituent l'objet principal du contrat et si les différentes parties du contrat sont objectivement inséparables. Lorsqu'il n'est pas possible de déterminer l'objet principal du contrat, la présente ordonnance s'applique. »


Que l’objet principal ne soit pas la réalisation de travaux répondant aux besoins du pouvoir adjudicateur, on peut en convenir, la Cour s’appuyant sur le fait que, sur un programme de construction de 250 logements collectifs représentant une surface de plancher de 16 350 mètres carrés, seuls 650 mètres carrés correspondait à un local brut et à 17 places de stationnement à remettre à la commune.

C’est sur le caractère objectivement inséparable – ou indissociable comme le Code l’exprime désormais - que l’arrêt pèche par un défaut de motivation et que le raisonnement aurait mérité d’être précisé. Car, à ce compte, tout ensemble immobilier au sein duquel on bâtit un local et/ou des places de parking à remettre à une personne publique sera objectivement indissociable. Sera-ce toujours le cas ?


On rappellera que l’article R 2122-3  autorise la passation de marché sans publicité ni mise en concurrence, pour des raisons techniques, « lors de l'acquisition ou de la location d'une partie minoritaire et indissociable d'un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l'acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l'immeuble à construire ». Certes, il n’est pas question de prestations associées contrairement à l’affaire commentée (et on est en présence d’une acquisition et non d’une vente). On peut se demander si le juge n’aurait pas pu s’en inspirer de manière prétorienne dans l’affaire commentée afin d’éviter la tentation du contournement des textes.

On pourra toujours rétorquer que dans le cadre de l’article R. 2122-3, il n’est pas question de prestations associées contrairement à l’affaire commentée et qu’on est en présence d’une acquisition et non d’une vente. Et c’est effectivement le texte qui est plus exigeant quant à la preuve du caractère indissociable.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public