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CE, 29 décembre 2023, n°488288, Société Pacific Mobile Télécom, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Les principes constitutionnels de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats s’opposent à une loi de pays qui apporte une dérogation générale aux règles de publicité et de mise en concurrence pour la distribution d’électricité.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Janvier et Février 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 29 décembre 2023, n°488288, Société Pacific Mobile Télécom, classé B
Les principes constitutionnels de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats s’opposent à une loi de pays qui apporte une dérogation générale aux règles de publicité et de mise en concurrence pour la distribution d’électricité.


CJUE, 7 décembre 2023, aff. C-441/22, Zamestnik-ministar, et C-443/22, Obshtina Balchik
La modification d’un contrat consistant en un allongement des délais d’exécution est substantielle, ne passe pas forcément par un acte formel et un pouvoir adjudicateur diligent doit inclure des clauses de réexamen pour des causes de suspension prévisibles


CJUE, 21 décembre 2023, C‑66/22, Infraestruturas de Portugal SA
La décision d’exclure ou de ne pas exclure un candidat au regard de sa fiabilité doit être motivée.


CE, 22 décembre 2023, n°472699, Office public de l'habitat Domanys, classé B
Le devoir de conseil du maître d'œuvre s’étend à toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables.


Cass., Civ. 3eme, 26 octobre 2023, n°22-19.444
Une promesse de vente d’un terrain appartenant au domaine privé d’une commune, assortie de l'engagement des acquéreurs de construire plusieurs logements en mixité sociale, ainsi que la livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix de vente des terrains, d'un local brut et de places de stationnement n’est pas un marché de travaux.

 

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Décision commentée :

CE, 29 décembre 2023, n°488288, Société Pacific Mobile Télécom, classé B

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Commentaire de la décision :


Il n’est pas courant que le juge administratif – ou même le juge constitutionnel – fasse appel aux principes constitutionnels de transparence et d’égalité des candidats à la commande publique et qu’en outre cela débouche sur une censure. Cela peut s’expliquer par la rareté des lois touchant au droit de la commande publique, encore que le législateur soit intervenu récemment avec la loi industrie verte comme il a été vu précédemment.

L’espèce concernait une loi de pays du 7 décembre 2009 relative au cadre réglementaire des délégations de service public de la Polynésie dont les dispositions des articles LP. 1er à LP. 27 fixent notamment les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public mais dont l’article 28 prévoyait qu’elles ne s’appliquent pas lorsqu’un établissement public confie la gestion d’un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce, c’est à dire une société dont il possède plus de la moitié du capital.

Saisi conformément aux dispositions spécifiques de l’article 179 de la loi organique du 27 février 2004, le Conseil d’Etat censure cette dérogation générale comme contraire aux principes mentionnés plus haut, dont il nous dit qu’ils sont rappelés par ladite loi organique, ce qui signifie implicitement qu’il fait application de principes constitutionnels. La motivation de l’arrêt est assez conséquente, avec en particulier une mention du moyen mis en avant par la Polynésie française pour justifier cette dérogation : « La Polynésie française fait valoir que cette dérogation se justifie par la configuration particulière du territoire, qui, selon elle, nécessiterait que les établissements publics polynésiens gardent la maîtrise, par l’intermédiaire de leurs filiales, des services publics assurant l’« interconnexion » entre les îles de l’archipel et rendrait la gestion de ces services publics insuffisamment rentable pour des opérateurs privés. Toutefois, de telles affirmations très générales, et au demeurant peu étayées, ne sont pas de nature à établir que, par les spécificités de leur statut, seules les filiales des établissements publics pourraient assurer la gestion déléguée des services publics dont ces derniers ont la charge, quelle que soit l’activité en cause. Par suite, en dispensant par principe de toute obligation de publicité et de mise en concurrence la conclusion des délégations de service public entre les établissements publics de la Polynésie française et leurs filiales, les dispositions litigieuses méconnaissent les exigences constitutionnelles de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats, rappelées à l’article 28-1 de la loi organique du 27 février 2004 ».

La rapporteure publique allait plus loin en rappelant un précédent constitutionnel. L’article 41 de la loi Sapin du 29 janvier 1993 excluaient de la mise en concurrence les sociétés d’économie mixte et cette exclusion avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1993, au motif elles méconnaissaient le principe d'égalité faute de pouvoir « se justifier ni par les caractéristiques spécifiques du statut des sociétés en cause, ni par la nature de leurs activités, ni par les difficultés éventuelles dans l'application de la loi propres à contrarier les buts d'intérêt général que le législateur a entendu poursuivre ».
On relèvera que la rapporteure publique passe sous silence le passage où le Conseil constitutionnel admettait la constitutionnalité de certaines dérogations : « Considérant que des entreprises détenant légalement un monopole pour l'ensemble des activités correspondant aux délégations en cause ou des établissements publics qui par nature relèvent directement et exclusivement de l'État ou des collectivités territoriales sont dans des situations différentes des autres organismes susceptibles d'obtenir des délégations de service public au regard des objectifs de transparence et de concurrence poursuivis par la loi ; que, dès lors, leur exclusion du champ d'application des dispositions de la loi relatives aux délégations de service public n'est pas contraire à la Constitution » ;

Autrement dit, il peut exister des hypothèses où de telles dérogations pourraient être admises mais tel n’était pas le cas à l’époque pour les SEM, pas plus que dans le cas polynésien étudié ici.

Toutefois, ces dérogations ne peuvent trouver vocation à s’appliquer que si l’on est en dehors du champ d’application des directives, ce qui était le cas en 1993 pour les concessions (sauf pour les concessions de travaux déjà soumises à des mesures de publicité au-delà d’un certain seuil) et ce qui est le cas dans notre affaire puisque la Polynésie n’est pas soumise en droit européen.

La rapporteure publique ajoute toutefois que rien n’interdit à la Polynésie française de s’inspirer du « in house », ce que le Conseil d’Etat se garde bien de confirmer. Il serait donc intéressant de voir si une telle dérogation d’origine européenne pourrait trouver grâce aux yeux du Conseil d’Etat dans un pur cadre constitutionnel.
Au final, la solution dépasse le cadre polynésien puisque ces principes constitutionnels ont vocation à s’appliquer à toute loi et l’approche assez stricte de leur application, quoiqu’à nos yeux justifiée, pourrait être invoquée dans le cadre d’un QPC par exemple.
 
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public