Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
La notion de nature globale du contrat précisée à propos de la modification d’un accord-cadre.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2025
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 17 octobre 2025, 496667, Société des grands travaux du midi, classé B
Les désordres qui sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché apparus postérieurement à la réception, mais avant le décompte général et définitif doivent être mentionnés dans ce dernier.
► CE, 13 novembre 2025, 506640, AP-HP, classé C
L’autorité contractante est tenue d’accepter une offre transmise électroniquement hors délai, même en l’absence de dysfonctionnement de la plateforme, lorsque le candidat a accompli toutes les diligences.
► CE, 10 octobre 2025, 493788, Société Rim communication, classé C
Le Conseil d’État fait droit à une demande d’exequatur pour la première fois.
► CJUE, 16 octobre 2025, Polismyndigheten, C‑282/24
La notion de nature globale du contrat précisée à propos de la modification d’un accord-cadre.
Brèves
Décision commentée :
CJUE, 16 octobre 2025, Polismyndigheten, C‑282/24
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Cet arrêt présente un double intérêt, puisqu’il donne des informations sur la notion de nature globale, à laquelle une modification ne peut pas porter atteinte, et sur la modification d’un accord-cadre.
Les faits sont importants pour comprendre la portée de l’arrêt. L’autorité de police a lancé, en 2020, un appel d’offres pour un marché de service de remorquage de véhicules, dans le cadre duquel l’évaluation des offres devait être effectuée sur la base du critère du prix le plus bas proposé. Les soumissionnaires devaient indiquer un prix fixe pour les prestations pour lesquelles le point de collecte du véhicule se situait dans un rayon de 10 kilomètres du lieu où le véhicule devait être retourné et, pour les transports en dehors de ce rayon, un prix supplémentaire par kilomètre pour le reste du trajet. Les documents de cet appel d’offres indiquaient que les prix devaient rester inchangés pendant toute la durée du contrat. Une des deux entreprises choisies avait proposé 0 euro pour le tarif fixe et 24,5 euros environ (275 couronnes suédoises). En 2021, les parties se sont mises d’accord pour augmenter le rayon de la partie fixe de 10 à 50 km et de modifier en conséquence les tarifs qui sont passés de 0 à environ 400 euros pour la partie fixe et 24,5 à 5 euros au km pour la partie variable. L’autorité suédoise de la concurrence a estimé qu’une telle modification supposait une remise en concurrence, mais son recours a été rejeté en première instance puis en appel. C’est la Cour suprême administrative de Suède, saisie de l’arrêt de la Cour d’appel, qui a saisi la Cour de juste d’une question préjudicielle afin d’avoir des précisions sur la notion de nature globale d’un contrat, afin de déterminer si la modification était légale ou non, tout en précisant qu’en l’occurrence, la modification n’entraînait pas une modification supérieure à 10 % en termes de rémunération, conformément à l’article 72.2 de la directive. On rappellera que cet article autorise une modification inférieure à 10 % sous réserve que son montant soit aussi inférieur aux montants des seuils de publicité européenne (en l’occurrence, 143 000 euros s’agissant d’un marché de service de l’État) et que cette modification n’altère pas la nature globale du contrat.
La Cour commence par passer beaucoup de temps sur la distinction entre nature globale et modification substantielle, distinction qui paraît pourtant clairement établie dans la directive – et dans le Code de la commande publique, contrairement à la première transposition de 2015 qui parlait de modification substantielle quand il y avait atteinte à la nature globale. Mais, à l’intérieur de cette longue démonstration, certains passages apportent des éclairages intéressants.
Ainsi, le paragraphe 24 de l’arrêt indique qu’« étant donné que l’article 72, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 vise spécifiquement les modifications introduisant des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure initiale de passation de marché, auraient permis l’admission d’autres candidats que ceux retenus initialement ou l’acceptation d’une offre autre que celle initialement acceptée ou auraient attiré davantage de participants à la procédure de passation de marché, la circonstance qu’une modification introduise de telles conditions dans un accord-cadre ne saurait logiquement faire obstacle, en tant que telle, à ce que cette modification soit opérée sur le fondement de l’article 72, paragraphe 2, de cette directive ». Autrement dit, cela confirme que la modification non substantielle n’est qu’un cas parmi d’autres de modifications autorisées, et que peu importe qu’une modification substantielle soit identifiée dès lors qu’elle peut être justifiée à un autre titre. La précision s’imposait toutefois en raison de l’ambiguïté du considérant 107 de la directive 2014/24 énonçant qu’il y a lieu d’engager une nouvelle procédure de passation de marché lorsque des modifications substantielles sont apportées au marché initial.
Ensuite, les paragraphes 31 à 33 de l’arrêt citent les exemples pris par le considérant 109 de cette directive, comme le remplacement par une commande différente des travaux, fournitures ou services faisant l’objet du marché ainsi que la modification fondamentale du type du marché concerné. La Cour indique à leur propos que « si les exemples ainsi cités par le législateur de l’Union sont dépourvus de caractère exhaustif, il n’en demeure pas moins que ceux-ci se rapportent exclusivement à des modifications transformant le marché concerné, dont la portée dépasse ainsi celle des modifications substantielles visées à l’article 72, paragraphe 4, de la directive 2014/24. En outre, si le considérant 109 de cette directive présente ces exemples comme constituant des cas dans lesquels il peut être présumé que la modification en cause serait de nature à influer éventuellement sur l’issue du marché concerné, il ne saurait en être déduit que toute modification ayant un tel effet doit être regardée comme emportant un changement global de la nature de ce marché ».
En ce qui concerne plus spécifiquement le changement de la nature globale du marché ou de l’accord-cadre concerné, la Cour précise que considérer qu’une modification limitée du prix d’un marché ou d’un accord-cadre constitue, en toutes circonstances, un tel changement priverait de tout effet les mécanismes d’adaptation de ce prix explicitement consacrés par le législateur de l’Union. Et « une modification de la méthode de rémunération d’un accord-cadre entraînant une modification marginale de la valeur totale de cet accord-cadre ne saurait, en tout état de cause, impliquer un changement fondamental de l’objet dudit accord-cadre ou, en principe, du type d’accord-cadre concerné. En revanche, il ne saurait être entièrement exclu que, dans des circonstances exceptionnelles, une modification de la méthode de rémunération entraînant une modification marginale de la valeur totale d’un accord-cadre, à l’instar d’une modification drastique de l’importance relative de la tarification fixe et de la tarification variable, puisse conduire à une altération fondamentale de l’équilibre de cet accord-cadre et donc à un changement de la nature globale dudit accord-cadre ».
Bien sûr, ce sera à la juridiction de renvoi d’apprécier cela dans les faits de l’espèce. On peut néanmoins penser que, si l’on était bien en présence d’une modification substantielle, car probablement de nature à affecter le classement initial, il paraît peu probable qu’on puisse considérer que cela affectera la nature globale de l’accord-cadre.
Mais, l’apport de l’arrêt n’est pas là : il est surtout de montrer qu’il pourrait y avoir changement de nature globale en cas « d’altération fondamentale de l’équilibre », sous-entendu économique, de l’accord-cadre.
On voit donc que cette notion est d’interprétation large et qu’elle pourrait s’illustrer dans une hypothèse où l’objet du contrat ou ses modalités d’exécution ne sont aucune modifiés.
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public

