Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Le Conseil d’État fait droit à une demande d’exequatur pour la première fois.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2025
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 17 octobre 2025, 496667, Société des grands travaux du midi, classé B
Les désordres qui sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché apparus postérieurement à la réception, mais avant le décompte général et définitif doivent être mentionnés dans ce dernier.
► CE, 13 novembre 2025, 506640, AP-HP, classé C
L’autorité contractante est tenue d’accepter une offre transmise électroniquement hors délai, même en l’absence de dysfonctionnement de la plateforme, lorsque le candidat a accompli toutes les diligences.
► CE, 10 octobre 2025, 493788, Société Rim communication, classé C
Le Conseil d’État fait droit à une demande d’exequatur pour la première fois.
► CJUE, 16 octobre 2025, Polismyndigheten, C‑282/24
La notion de nature globale du contrat précisée à propos de la modification d’un accord-cadre.
Brèves
Décision commentée :
CE, 10 octobre 2025, 493788, Société Rim communication, classé C
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
Le régime de l’exequatur d’une décision de justice étrangère devant la juridiction administrative française a été fixé par un arrêt de Section 22 décembre 2023, Société gabonaise d’édition et de communication, n° 463451. Mais, si ce n’est pas la première fois qu’une juridiction administrative fait droit à une telle demande (JRTA Paris, 26 avril 2022, Société Gregori International, 2116836, C+ ; JRTA Paris (formation collégiale), 18 novembre 2024, Société cabinet d’architecture 2G, 2313185/4), c’est bien la première fois que le Conseil d’État y fait droit avec l’arrêt commenté, qui aurait mérité un classement B, en annulant ici une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Paris jugeant la demande manifestement irrecevable faute de lien avec la France, et après que la CAA a directement renvoyé au Conseil d’État puisque la décision statuant sur une demande d’exequatur est rendue en premier et dernier ressort et ne peut faire l’objet que d’un pourvoi en cassation.
La demande d’exéquatur concernait une décision définitive d’une juridiction mauritanienne condamnant une collectivité territoriale à une indemnité pour résiliation fautive.
La première question que tranche le Conseil d’État est celle de la compétence de la juridiction administrative par opposition à la juridiction civile (française) pour se prononcer sur l’exequatur. Si le Conseil d’État y répond positivement, mais implicitement, le rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil se veut beaucoup plus explicite :
« La seule question qui se pose – comme ce fut d’ailleurs le cas dans votre précédent – est alors de savoir si le présent litige relève bien de « l’exécution des décisions rendues en matière administrative » puisque tel est le critère retenu par le traité. Comme nous l’avions déjà relevé en 2023, il faut entendre ces termes à l’aune de la volonté des parties signataires, dont il nous paraît manifeste, au vu de leur histoire et de leur système institutionnel, qu’elles se sont référées à la définition de la « matière administrative » qui prévaut dans leurs ordres juridiques respectifs. À titre de courte digression, nous croyons utile de souligner que le critère de compétence juridictionnelle de la « matière administrative » est ainsi différent du critère retenu pour définir le champ de l’immunité de juridiction, qui est beaucoup plus resserré puisqu’une telle immunité ne bénéficie aux États que « lorsque l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États », par opposition aux actes de gestion. Les deux notions se recoupent, mais ne se recouvrent donc pas. En l’espèce, le litige mauritanien était relatif à la responsabilité d’une personne publique du fait de la résiliation d’un contrat de délégation de service public. Or, que ce soit en Mauritanie, où il a été jugé par la chambre administrative de la juridiction d’appel (le contrat résilié comportant d’ailleurs une clause attributive de compétence au profit du juge administratif), ou en France, un tel litige relève sans conteste de l’ordre juridictionnel administratif. »
On le voit, la matière administrative est ici illustrée à propos d’un contrat administratif en raison de la conception convergente qu’en ont les deux États concernés. On sait que la question reste posée de savoir si cette conception pourrait prospérer au regard du droit international privé, même si Marc Pichon de Vendeuil s’était prononcé sur une généralisation de celle-ci pour tous les contrats administratifs, mais que le Conseil d’État avait évité de se prononcer sur ce point dans l’affaire Association Bon Sens de 2024 (commenté dans une précédente chronique). La compétence nous paraît manifestement fondée ici, en présence de l’exécution d’une décision juridictionnelle qui concerne un contrat que les deux États concernés considèrent comme administratif. Cela aurait été en revanche plus délicat si le contrat avait été considéré de droit privé en droit mauritanien.
Quant au régime de l’exequatur, on rappellera la formule de 2023 :
« Selon les principes de droit international coutumier, les États bénéficient d'une immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces États et n'est donc pas un acte de gestion. Un État peut opposer cette immunité à une demande d'exequatur d'une décision juridictionnelle, y compris si cette décision émane des juridictions de cet État. Si un État peut renoncer à son immunité de juridiction dans un litige, y compris par l'effet d'engagements résultant d'une convention internationale, cette renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque ».
Or, comme l’indique le rapporteur public, la résiliation d’un contrat qui avait pour simple objet la gestion d’outils d’information et de moyens de publicité ne participe pas, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté d’un État, notamment parce qu’elle est exercée en l’espèce par une collectivité locale. En outre, l’immunité n’avait pas été soulevée par l’État mauritanien et ce n’est pas une question qui peut l’être d’office par le juge français, d’après le rapporteur public, faute de légitimité pour un juge français à défendre par là-même les intérêts d’un État étranger.
Mais, l’arrêt commenté va plus loin en indiquant ce qu’il convient de contrôler lorsqu’il n’est pas possible d’identifier une immunité de juridiction : les décisions dont il est demandé l’exequatur doivent avoir été prises en vertu d’une procédure régulière, passées en force de chose jugée et susceptibles d’exécution, doivent émaner d’une juridiction compétente et n’être en aucun cas régies par le droit français, ce qui était le cas en l’espèce :
« Il résulte de l’instruction et n’est pas contesté par la région de Nouakchott, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Nouakchott et à laquelle le pourvoi a été communiqué dans les formes prévues par les stipulations des articles 25 et 27 de l’accord du 19 juin 1961 sans qu’elle produise en défense, que les deux décisions dont l’exequatur est demandé ont été rendues au terme de procédures régulières, les parties ayant été valablement citées ou représentées, et qu’elles sont passées en force de chose jugée et susceptibles d’exécution. 8. Il résulte également de l’instruction que les décisions dont l’exequatur est demandé émanent de juridictions compétentes selon la loi applicable à ce litige, né de l’exécution d’un contrat qui n’est en aucune façon régi par le droit français, mais régi, conformément à la volonté des parties, par le droit mauritanien. »
Il est à noter que ces conditions étaient requises par le traité international franco-mauritanien, mais que le rapporteur indique qu’elles correspondent pour partie à ce que la jurisprudence (judiciaire) exige quand aucun traité ne régit la matière. Dans ses conclusions sur l’affaire de 2023 précitée, Marc Pichon de Vendeuil mentionnait ainsi « la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure, ainsi que l’absence de fraude (1 Civ. 20 février 2007, n° 05-14082, Bull. I, n° 68 ; confirmé par 1 Civ. 28 juin 2023, n° 21-19.766, Bull.) », ce qui est effectivement proche du contrôle que le Conseil d’État a opéré ici sur la base du traité international en question.
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public

