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CE, 13 novembre 2025, 506640, AP-HP, classé C

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

L’autorité contractante est tenue d’accepter une offre transmise électroniquement hors délai, même en l’absence de dysfonctionnement de la plateforme, lorsque le candidat a accompli toutes les diligences.

 
Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 17 octobre 2025, 496667, Société des grands travaux du midi, classé B
Les désordres qui sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché apparus postérieurement à la réception, mais avant le décompte général et définitif doivent être mentionnés dans ce dernier.


► CE, 13 novembre 2025, 506640, AP-HP, classé C
L’autorité contractante est tenue d’accepter une offre transmise électroniquement hors délai, même en l’absence de dysfonctionnement de la plateforme, lorsque le candidat a accompli toutes les diligences.


CE, 10 octobre 2025, 493788, Société Rim communication, classé C
Le Conseil d’État fait droit à une demande d’exequatur pour la première fois.


CJUE, 16 octobre 2025, Polismyndigheten, C‑282/24
La notion de nature globale du contrat précisée à propos de la modification d’un accord-cadre.


 

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Décision commentée :

CE, 13 novembre 2025, 506640, AP-HP, classé C

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Commentaire de la décision :

 
La solution de l’arrêt, quoique classé C, n’en apporte pas moins une précision par rapport à ce qui avait déjà été jugé par le passé sur les offres reçues hors-délais. En effet, le Conseil d’État avait dit pour droit que « si l’article R. 2151-5 du code de la commande publique prévoit que les offres reçues hors délai sont éliminées, l’acheteur public ne saurait toutefois rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n’a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l’article R. 2132-9 du même code, établit, d’une part, qu’il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre et, d’autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal » (CE, 23 septembre 2021, RATP, 449250, T. pp. 768-849). Il s’agissait donc, comme l’a indiqué le rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil dans ses conclusions très claires et convaincantes sur l’arrêt commenté ici, de mettre en place un partage de la charge de la preuve en cas de dysfonctionnement du système électronique de dépôt des candidatures et des offres :

« il appartient d’abord au soumissionnaire d’établir qu’il a accompli les diligences pour déposer sa candidature dans les délais et que son équipement informatique fonctionnait normalement, mais c’est ensuite à l’acheteur public d’établir l’absence de défaillance de la plateforme de téléchargement. »

 
Mais, les faits de l’affaire AP-HP différaient ici : il n’était pas question d’un dysfonctionnement de la plateforme à proprement parler, mais simplement du fait que les fichiers transmis par le candidat excédaient la capacité de téléversement de la plateforme, les autres candidats n’ayant pas eu cette difficulté puisqu’ils n’avaient pas présenté d’offres pour tous les lots. Le candidat avait essayé par deux fois, avant l’heure limite de dépôts, de téléverser ses offres (ce qui n’était pas discuté, mais facilement vérifiable auprès du gestionnaire de la plateforme), puis avait transmis un lien de téléchargement quelques heures après l’heure limite. L’offre avait été rejetée comme hors délai, comme l’acheteur public le doit en vertu de l’article R 2151-5 du CCP précité. Il est vrai qu’il était pris entre le marteau du risque de rejet illégal et l’enclume du risque de l’acceptation illégale…
 
La question portait donc sur le point de savoir si le candidat avait accompli les diligences nécessaires. Le Conseil d’État y répond positivement, rejetant plusieurs arguments de l’AP-HP, comme celui relatif à l’article R. 2132-11 du CCP qui prévoit que « Les candidats et soumissionnaires qui transmettent leurs documents par voie électronique peuvent adresser à l’acheteur, sur support papier ou sur support physique électronique, une copie de sauvegarde de ces documents », justement puisqu’il ne s’agit que d’une simple faculté. Un autre argument n’a pu prospérer : une « FAQ » (frequent asked questions) indiquait la taille maximale des fichiers, mais le rapporteur public estime que cela n’était pas suffisant pour considérer que la taille maximale avait été communiquée aux candidats. Cela semble vouloir dire que si cette taille avait été indiquée dans le règlement de consultation, la solution aurait été différente. Mais alors, il aurait fallu probablement indiquer aux candidats comment déposer une offre qui excédait cette taille maximale, puisque les conclusions indiquent que « De fait, il n’est pas davantage contesté que la plateforme n’a pas indiqué que les fichiers versés étaient trop lourds, ce qui aurait permis à la société de fractionner son dépôt ». De même, il ne saurait être reproché à la candidate de n’avoir ni effectué de test préliminaire d’envoi ni cherché à contacter l’assistance technique de la plateforme à aucun moment avant l’expiration du délai de remise des offres. Toutes ces précisions sont apportées non par l’arrêt, mais par le rapporteur public. Enfin, implicitement, mais nécessairement, on ne saurait exiger du candidat qu’il se déplace pour déposer son offre physiquement en pareil cas.
 
En revanche, n’accomplit pas les diligences nécessaires le candidat qui se trompe de tiroir électronique dans le dépôt de son offre, sauf si cette erreur résulte d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public (CE, 1er juin 2023, Communauté d’agglomération de la région de Château-Thierry, 469127, B). En pareil cas, compte tenu de l’erreur initiale du candidat, la charge de la preuve reste sur ses épaules.
 
En somme, même en l’absence de dysfonctionnement, pèse sur l’autorité contractante la charge d’assurer aux candidats diligents la possibilité de déposer leur candidature et leur offre et donc l’obligation d’accepter les offres hors délai. La difficulté tient à ce qu’elle n’a pas forcément connaissance, au moment de la réception hors délai, des diligences accomplies par les candidats… 

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public