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CE, 17 octobre 2025, 496667, Société des grands travaux du midi, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Les désordres qui sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché apparus postérieurement à la réception, mais avant le décompte général et définitif doivent être mentionnés dans ce dernier.

 
Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 17 octobre 2025, 496667, Société des grands travaux du midi, classé B
Les désordres qui sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché apparus postérieurement à la réception, mais avant le décompte général et définitif doivent être mentionnés dans ce dernier.


► CE, 13 novembre 2025, 506640, AP-HP, classé C
L’autorité contractante est tenue d’accepter une offre transmise électroniquement hors délai, même en l’absence de dysfonctionnement de la plateforme, lorsque le candidat a accompli toutes les diligences.


CE, 10 octobre 2025, 493788, Société Rim communication, classé C
Le Conseil d’État fait droit à une demande d’exequatur pour la première fois.


CJUE, 16 octobre 2025, Polismyndigheten, C‑282/24
La notion de nature globale du contrat précisée à propos de la modification d’un accord-cadre.


 

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Décision commentée :

CE, 17 octobre 2025, 496667, Société des grands travaux du midi, classé B

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Commentaire de la décision :

 
Cet arrêt illustre une fois encore la rigueur du principe d’intangibilité du décompte général et définitif, cette fois à propos de la garantie de parfait achèvement. Comme le rappelle le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, le DGD « vise à établir le solde financier d'un marché de travaux publics, résultant de l’ensemble des droits et obligations contractuels des parties (…) et doivent donc y figurer, en principe, toutes les créances qui trouvent leur fondement dans le marché ». En conséquence, est irrecevable toute réclamation ultérieure relative à une obligation contractuelle qui n’aurait pas été mentionnée en son sein (CE, Section, 26 avril 1968, Compagnie d'assurances générales contre l'incendie et les explosions). À ce principe, la jurisprudence a apporté deux exceptions : la fraude (CE, 10 décembre 1969, Commune de Saint-Mandrier, 73756, au Recueil) et le cas où le maître d’ouvrage est condamné à indemniser l’un de ses cocontractants et se retourne contre un autre de ses cocontractants au titre de sa responsabilité contractuelle (CE, 15 novembre 2012, Commune de Dijon, 349107, T. pp. 854-855). Encore faut-il qu’il n’ait pas eu connaissance de ce litige au moment du DGD (CE, 6 mai 2019, Société Icade Promotion, 420765, T. pp. 833-834).
 
Il est possible d’y ajouter de « fausses » exceptions : les créances nées des garanties décennale ou biennale ou celles nées du droit à indemnité d’imprévision. Nous les appelons « fausses » dans la mesure où, même si elles ne sont pas dépourvues de tout lien avec un contrat, elles sont considérées comme « extracontractuelles » (ce que l’on peut admettre facilement pour des créances post-contractuelles, plus difficilement pour des indemnités d’imprévision – cf. CE, Avis, 405540 du 15 septembre 2022, commenté dans une précédente chronique).
 
La cour administrative d’appel de Marseille avait, dans l’arrêt qui fait l’objet du pourvoi jugé ici, cru pouvoir ajouter un cas : celui qui concerne les créances nées de désordres entrant dans la garantie de parfait achèvement au motif qu’elle s’applique aux désordres apparus dans l’année qui suit la réception et que les obligations en résultant seraient étrangères au décompte, lequel doit normalement être établi avant la fin de cette garantie.
 
Mais l’on sait déjà que l’absence de mention dans le DGD des réserves empêche toute réclamation ultérieure (CE, 20 mars 2013, Centre hospitalier de Versailles, 357636, T. p. 698), ce qui est logique puisque la relation contractuelle perdure pour la partie réservée (CE, Section, 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer, 264490). En revanche, il n’est pas besoin que ces réserves soient chiffrées (CE, 28 mars 2022, Commune de Sainte-Flaive-des-Loups, 450477, aux Tables).
 
Selon le rapporteur public, la relation contractuelle peut perdurer au-delà de la réception, même sans réserve, dans deux autres cas : lorsqu’il existe une garantie de parfait achèvement ou lorsque le contrat prévoit une extension de la responsabilité contractuelle. En réalité, en droit administratif, ce sont deux facettes d’une même exception au principe de la fin des relations contractuelles à la réception puisque, contrairement au droit civil, la garantie de parfait achèvement n’existe que si une clause la prévoit. Il est vrai que c’est fréquemment le cas pour le parfait achèvement, en raison de l’article 44.1 du CCAG travaux dans sa version 2021, alors qu’il semble que ce soit beaucoup plus rare en dehors.
On remarquera que le Conseil d’État ne se contente pas de répondre à la question posée, mais va justement au-delà, puisqu’il juge que « Lorsque des réserves ont été émises lors de la réception et n’ont pas été levées, il appartient au maître d’ouvrage soit de surseoir à l’établissement du décompte, soit d’assortir celui-ci de réserves » puis ajoute qu’ « il lui appartient de faire de même lorsqu’il a connaissance, avant la notification du décompte général, de désordres apparus postérieurement à la réception qui sont susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché, au titre de la garantie de parfait achèvement ou de toute autre stipulation contractuelle prolongeant la responsabilité contractuelle du titulaire postérieurement à la réception », ce qui représente un petit obiter dictum, mais un obiter dictum quand même s’agissant de la référence à « toute autre stipulation ». Il va de soi toutefois que l’intangibilité du DGD n’empêche pas le maître d’ouvrage de faire des réclamations au titulaire « pour les désordres apparus postérieurement à la réception dont il n’avait pas connaissance au moment de la notification du décompte général ».
 
Finalement, la solution ne va pas dans l’intérêt de la personne publique, mais plus certainement de celle du juge, qui ne veut pas risquer d’augmenter le contentieux en multipliant les exceptions à l’intangibilité du DGD. Mais on doit souligner un élément de souplesse introduit ici puisqu’il indique aussi que le maître d’ouvrage a le choix entre assortir le DGD de réserves et surseoir à l’établissement du décompte, ce dernier point étant inédit à notre connaissance et qui vaut aussi pour les réserves lors de la réception, au prix donc d’un nouvel obiter dictum. 

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public