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CE, 30 juillet 2024, n°485583, Collectivité territoriale de Martinique, classé B
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Le contrôle du juge administratif sur les sentences arbitrales internes est identique à celui des sentences arbitrales internationales.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Septembre 2024
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Commentaires de textes ou décisions
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► CE, 30 juillet 2024, n°485583, Collectivité territoriale de Martinique, classé B
Le contrôle du juge administratif sur les sentences arbitrales internes est identique à celui des sentences arbitrales internationales.
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Décision commentée :
CE, 30 juillet 2024, n°485583, Collectivité territoriale de Martinique, classé B
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
On se souvient que, dans l’arrêt Fosmax, le Conseil d’État a défini l’étendue du contrôle juridictionnel exercé par le juge administratif sur les sentences arbitrales concernant des contrats administratifs dits internationaux (CE, Assemblée, 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 388806, p. 466). Concrètement, il s’agit des hypothèses de sentences arbitrales rendues en France dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mais mettant en jeu les intérêts du commerce international. Les commentateurs « autorisés » de l’arrêt indiquaient qu’il « constituera cependant un point de repère incontournable, dès lors, notamment, qu’on imagine mal que le contrôle soit moins approfondi en matière d’arbitrage interne que d’arbitrage international » (L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet - Arbitrage international : le Conseil d’État s’entend sur un contrôle – AJDA 2016, p. 2368). De fait, le rapporteur public Nicolas Labrune dans l’affaire commentée invitait non seulement à ne pas faire moins, mais aussi à ne pas faire plus, tant ce serait aller à l’encontre du principe même de l’arbitrage qui implique une forme de « justice privée » et qui s’accorde mal avec l’idée d’un plein contrôle d’un juge.De cette logique, suivie par le Conseil d’État, il en résulte deux éléments.
En premier lieu, le juge reprend donc les éléments de contrôle définis par la jurisprudence Fosmax et qui sont au nombre de trois :
- La licéité de la convention d’arbitrage : qu’il s’agisse d’une clause compromissoire ou d’un compromis ;
- L’irrégularité des conditions de la sentence : incompétence du tribunal, irrégularité de sa composition (notamment indépendance et impartialité), de sa mission, du caractère contradictoire et de sa motivation
- La contrariété à l’ordre public : contrat à objet illicite, entaché d'un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, méconnaissance des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou méconnaissance des règles d’ordre public du droit de l’Union européenne.
Sur le premier point, le Conseil d’État confirme la compétence du tribunal arbitral et aussi celle du juge administratif. Sur la compétence du tribunal, elle résulte du fait que l’on se trouvait bien dans une des exceptions à l’inarbitrabilité des litiges relatifs aux personnes publique posée à l’article 2061 du Code civil. En effet, l’article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1906 dispose que « l'État, les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux peuvent, pour la liquidation de leurs dépenses de travaux et de fournitures, recourir à l'arbitrage tel qu'il est réglé par le livre IV du code de procédure civile ». Or, en l’espèce, il s’agissait d’un litige portant sur des sommes que le groupement d’entreprises estimait lui être dues. Le Conseil d’État donne ainsi une interprétation large de la notion de liquidation, mais conforme à la nouvelle rédaction issue du Code de la commande publique qui évoque « les litiges relatifs à l’exécution financière des marchés publics de travaux et de fournitures » pour les personnes publiques susvisées (article L. 2197-6 du code de la commande publique).
Quant à la compétence du juge administratif et du Conseil d’État, elle s’explique par le fait qu’il s’agit d’un « recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat administratif ressortit à la compétence de la juridiction administrative ». En effet, il est de jurisprudence constante que, comme le rappelle le rapporteur public :
« en ce qui concerne les sentences arbitrales internes, c’est toujours la juridiction compétente pour connaître du contrat ayant donné lieu à l’arbitrage qui est compétente (voyez TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance c/ Mutuelle des Architectes Français, p. 639 et, pour une réaffirmation de ce critère de compétence après la décision Inserm, TC, 16 novembre 2015, Société Broadband Pacifique c/ Administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna, n°4025, T. p. 597) ».
Et, pour le juge, au sein de la juridiction administrative, le Conseil d’État est compétent pour connaître des recours dirigés contre une telle sentence arbitrale en application de l’article L. 321-2 du code de justice administrative.
Sur le deuxième point, le rapporteur public proposait d’ajouter les autres conditions d’irrégularité fixées à l’article 1492 du code de procédure civile pour les sentences arbitrales internes : si la sentence n’indique pas la date à laquelle elle a été rendue ou le nom du ou des arbitres qui l’ont rendue, si elle ne comporte pas la ou les signatures requises, ou si elle n’a pas été rendue à la majorité des voix. Le Conseil d’État ne l’a pas suivi sur ce point, ne s’estimant pas lié par le code de procédure civile en dépit du renvoi par la loi de 1906. Il ne l’a pas non plus suivi sur un autre point : le rapporteur public estimait que, en l’espèce, il y avait eu violation du principe d’impartialité car un des membres du tribunal avait rendu un premier rapport, en tant qu’expert en quelque sorte, préjugeant ainsi de l’affaire. Pour le juge :
« Si le rapport ainsi rédigé par l’un des arbitres a pris position sur les prétentions des parties, cette circonstance ne traduit nullement, contrairement à ce que soutient la collectivité requérante, une méconnaissance du principe d’impartialité, s’agissant d’un document d’étape établi par l’un des arbitres dans le cours de l’instance arbitrale, à l’égard duquel, au demeurant, les parties ont pu faire valoir, avant que le tribunal arbitral ne se prononce, leurs observations tant sur la teneur des propositions faites que sur la méthodologie retenue ».
En somme, le contradictoire a purgé le risque d’impartialité. Cette position n’est certes pas strictement orthodoxe au regard de la jurisprudence administrative sur les préjugements, parfaitement rappelée par le rapporteur public, mais elle fait montre d’un souci de flexibilité dans la procédure tenue devant le tribunal arbitral qui a été, en quelque sorte, approuvée implicitement par les parties.
Sur le troisième point, le Conseil d’État ne voit aucune violation des règles d’ordre public et plus particulièrement de l’interdiction des libéralités. En particulier, le tribunal arbitral a relevé que si la société Satrap n’avait « pas fait tous les efforts souhaitables pour établir la réalité de ce chef de préjudice », il a pour autant considéré que « les éléments chiffrés produits par la Satrap et résultant des données du marché sont de nature à pouvoir apprécier le déficit de couverture de ses frais généraux ». Le Conseil d’État rejette donc la demande d’annulation de la sentence arbitrale.
En deuxième lieu, l’autre conséquence de cette approche libérale tient à la nature du contrôle juridictionnel. Le rapporteur public proposait de ne pas laisser aux parties, comme le droit privé les y autorise pour les sentences arbitrales de droit interne (alors que pour le droit international, seul le recours en annulation est ouvert – cf. article 198 CPC), de choisir entre recours en annulation ou appel.
Le Conseil d’État ne semble pas avoir tranché la question puisqu’il n’avait pas à le faire, les parties ayant prévu le recours en appel. Le simple fait que le Conseil d’État se reconnaisse compétent en vertu d’un article visant sa compétence comme juge d’appel ne semble pas permettre de conclure qu’il a choisi la voie de l’appel puisqu’il ne s’en sert que pour justifier sa compétence, et non la nature du recours.
Mais finalement, la question parait secondaire puisque, en tout état de cause, l’étendue du contrôle est très spécifique à l’arbitrage et très réduite au regard de ce qu’est en recours en annulation ou un recours en appel.
Cette étendue très relative du contrôle et la manière très libérale de l’application de ce contrôle, conduisant à confirmer une sentence arbitrale ayant condamné une personne publique à devoir payer une somme de 1 640 213 euros, pourraient conduire au développement de l’arbitrage dans les marchés publics de travaux et de fournitures.
Professeur agrégé en droit public
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