- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Septembre 2024
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 24 juillet 2024, n°491268, Commune de Sevran, classé B
Il n’y a pas d’atteinte à l’impartialité pour un président de commission DSP ayant notamment déclaré que le contrat en cours était « mal géré ».
► CE, 30 juillet 2024, n°470756, Communauté d'agglomération Valence Romans agglomération, classé B
L’exigence d’un avis d’un jury de concours n’a pas d’incidence sur l’étendue du pouvoir d’appréciation du pouvoir adjudicateur.
► CE, 24 juillet 2024, n°490458, Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), classé B
Des architectes non-inscrits au tableau du conseil régional de Polynésie peuvent y exercer ponctuellement et sous réserve d’en informer préalablement le conseil régional.
► CE, 30 juillet 2024, n°485583, Collectivité territoriale de Martinique, classé B
Le contrôle du juge administratif sur les sentences arbitrales internes est identique à celui des sentences arbitrales internationales.
► CE, 30 juillet 2024, n°491172, Société Tarkett France, et n°491177, Société Gerflor, classés B
La décision par laquelle un magistrat administratif enjoint à une partie de remettre à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission présente un caractère juridictionnel.
Brèves
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Décision commentée :
CE, 30 juillet 2024, n°470756, Communauté d'agglomération Valence Romans agglomération, classé B
► Consulter le texte de la décision.
Commentaire de la décision :
Le Conseil d’État sanctionne la CAA de Lyon qui avait innové en matière de contrôle du choix du pouvoir adjudicateur d’un lauréat à la suite de l’avis d’un jury de concours. La Cour, après avoir posé en principe que l’acheteur ne pouvait s’écarter de l’avis du jury qu’à condition d’être en mesure de justifier que les motifs qu’il privilégie
« doivent manifestement prévaloir sur le classement établi » par le jury, a jugé que l’inversion du classement du jury n’était
« pas manifestement justifiée pour les motifs invoqués par l’autorité adjudicatrice ». Pour le Conseil d’État, la Cour a commis une
erreur de droit dès lors que les dispositions applicables disposent que :
« l’acheteur n’est pas tenu de suivre l'avis émis par le jury du concours et qu'il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury » (L. 2125-1 CCP) et que « En statuant ainsi, alors qu’il ne résulte ni des dispositions précitées ni d’aucun principe général que l’acheteur ne pourrait s’écarter de l’avis du jury qu’à la condition que l’offre qu’il retient soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ».
On comprend de la formulation précitée que la CAA de Lyon avait soit procédé à un contrôle normal du choix du cocontractant, soit essayé d’introduire une troisième voie entre contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation et contrôle normal à raison de l’exigence d’un avis préalable d’un jury. Mais, en matière de choix de l’attributaire, le contrôle du juge a toujours été restreint (CE, 27 juillet 1984,
Société Biro, n° 44919, p. 303 ; CE, 8 février 2010,
Commune de La Rochelle, n° 314075, p. 14) comme d’ailleurs dans bon nombre d’autres décisions relatives à la passation des contrats de la commande publique : sélection des candidats, choix des critères d’attribution, de leur pondération, de la division en différents lots, de la déclaration d’infructuosité, de la durée du contrat, de l’estimation du montant du marché, de l’offre anormalement basse. Sans parler d’erreur manifeste d’appréciation, les contrôles du choix de la méthode d’évaluation et de la procédure adaptée s’apparentent à un contrôle restreint puisque le texte (dans le premier cas) et la jurisprudence (dans le deuxième) posent le principe du libre choix. Seul le choix de ne pas recourir à la division en lot est un contrôle normal puisque les textes, depuis 2006, posent le principe de la division en lot et ne laissent donc pas un pouvoir discrétionnaire à l’autorité contractante.
Le Conseil d’État estime ici, à juste titre si l’on considère que
le choix d’un lauréat n’est pas foncièrement distinct du choix d’un autre cocontractant, que la Cour a commis une erreur de droit. Pour le rapporteur public, cela
revenait à introduire une sorte d’avis conforme par principe.
Mais
cette jurisprudence pose tout de même la question de savoir si le juge ne devrait pas faire évoluer son contrôle en matière de décisions liées à la passation ou au moins sur certaines d’entre elles, comme pour la sélection des candidats et des offres : le contrôle restreint est tellement léger que les annulations sont rarissimes (4 sur les 46 contrôles de l’erreur manifeste que nous avons trouvés) et, quand elles interviennent, toujours évidentes. En outre, les raisons qui poussent le juge à passer au contrôle normal plaident en ce sens. Le contrôle de l’erreur manifeste est réservé soit aux matières très techniques, soit aux hypothèses où les textes laissent un choix discrétionnaire, soit lorsque la décision est prise par un organisme expert tel qu’une autorité de régulation. En sens inverse, le contrôle normal est pratiqué lorsque des droits fondamentaux sont en jeu. Il est vrai que la passation des contrats de la commande publique est un peu entre les deux, mais avec une tendance à pencher vers les hypothèses de contrôle normal : les décisions sont certes assez techniques, mais ne sont pas prises par des organismes experts et touchent aux droits fondamentaux de libre accès à la commande publique, d’égalité des candidats et de transparence des procédures. Quant aux textes, il est difficile de dire qu’ils laissent un pouvoir discrétionnaire aux autorités contractantes, à l’exception du choix des procédures adaptées.
En dehors de cette dernière hypothèse, une évolution de l’intensité du contrôle serait donc permise.
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public