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CE, 13 octobre 2023, n°470101, Société Culturespaces, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

L’intérêt lésé du tiers contestant un refus de résilier interprété restrictivement.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2023

Commentaires de textes ou décisions
 

Loi Industrie verte, n°2023-973 du 23 octobre 2023, art. 25 à 30
La loi industrie verte et la commande publique : beaucoup de bruit pour rien ? (Articles 25 à 30 de la loi n°2023-973 du 23 octobre 2023).


CE, 13 oct. 2023, n° 464955, M. Carré et Collectif alétois de gestion publique de l’eau, classé B
La notion de risque d’exploitation et les modalités de communication des documents d’information destinés aux membres d’un conseil municipal à l’occasion de l’attribution d’une délégation de service public précisées.


CE, 13 oct. 2023, n°470101, Société Culturespaces, classé B
L’intérêt lésé du tiers contestant un refus de résilier interprété restrictivement.


CE, 9 nov. 2023, Société Transport tertiaire industrie, n° 469673, classé B
La notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire et il appartient au juge du contrat de statuer sur les réclamations pécuniaires présentées par chacune des deux parties pour déterminer le solde de leurs obligations contractuelles respectives.


CE, 17 oct. 2023, n°465913, Commune de Viry-Châtillon ; n° 469071 – Syndicat intercommunal d’énergies du département de la Loire, classé B
La qualité de sous-traitant attribuée à un fournisseur dépend de la spécificité de la prestation et pas nécessairement de la pose ; la simple opposition d’un membre du groupement au paiement du sous-traitant suffit à fonder le refus du maître d’ouvrage du paiement direct.

 

Brèves

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Décision commentée :

Conseil d'Etat, 13 octobre 2023, n°470101, Société Culturespaces, classé B

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Commentaire de la décision :

Le juge administratif était ici saisi d’un recours dit « Transmanche » (CE, Section, 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche, n° 398445, p. 209, ccl. G. Pellissier). On rappellera que cette jurisprudence a mis fin à la jurisprudence « LIC » ouvrant la possibilité aux tiers d’attaquer un refus de résilier un contrat par le biais d’un recours pour excès de pouvoir (CE, Section, 24 avril 1964, SA de Livraisons industrielles et commerciales (LIC), n° 53518, p. 239, ccl. Combarnous). Elle lui a substitué un recours de plein contentieux, avec une double conséquence assez classique. En premier lieu, les pouvoirs du juge sont accrus puisqu’ « il appartient au juge du contrat d'apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu'il y fasse droit et d'ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé ».

En deuxième lieu, le tiers doit être « susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat ». Mais pour éviter que ce recours ne se transforme en deuxième voire troisième chance de contester l’attribution d’un contrat (si l’on compte le référé précontractuel et le recours Tarn-et-Garonne, que le requérant de l’arrêt commenté avait d’ailleurs exercés), le Conseil d’État a ajouté que seuls certains moyens peuvent être invoqués : ceux « tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général ».

L’arrêt commenté se penche sur la question de l’intérêt lésé, indépendamment des moyens invoqués, et son intérêt tient tout autant dans la solution adoptée que dans les conclusions contraires de Marc de Pichon de Vendeuil. Ce dernier concluait en effet à admettre, comme l’avait fait la CAA de Marseille et contrairement au TA de Marseille, l’intérêt lésé. Il proposait de considérer que l’intérêt d’un concurrent potentiel à la réattribution d’une délégation de service public ne suffit pas, mais qu’il peut être admis s’il est démontré un « lien existant entre l’intérêt lésé et la poursuite de l’exécution du contrat, puisque l’objet premier du recours Transmanche est de s’assurer de ce que le contrat peut continuer à être légalement exécuté. L’intérêt à agir peut alors s’appréhender à travers deux aspects : d’une part, au regard des conditions d’exécution du contrat – ce sera souvent là le terrain des requérants se prévalant de la qualité de riverains ou d’usagers d’un service public, qui pourront par exemple arguer que les modalités de mise en œuvre du contrat portent atteinte à leurs conditions d’existence ou aux intérêts qu’ils défendent – et, d’autre part, au regard des effets de l’exécution du contrat, qui peuvent eux-mêmes affecter gravement la situation des requérants – ce sera souvent plutôt là que des concurrents pourraient se prévaloir d’un intérêt suffisant ».

Ce critère semblait bien correspondre à la jurisprudence ayant déjà appliqué l’arrêt Transmanche : pas d’intérêt lésé dans l’affaire Transmanche elle-même pour le tiers qui se prévalait d’une situation concurrentielle alors qu’il n’aurait même pas pu se porter candidat à la réattribution, lésion dans l’impossibilité pour le candidat malheureux de pouvoir exercer son activité du fait de l’exécution du marché litigieux (CE, 30 novembre 2018, GIE Groupement périphérique des huissiers de justice, n° 416628, T. pp. 772-782-868, ccl. G. Pellissier) ou d’une société de production d’électricité pour contester le refus de résiliation d’un contrat de concession de gestion du réseau de distribution électrique pour un contrat particulièrement long (CE, 12 avril 2021, Société Ile de Sein Energies, n° 436663, B).

Appliquant ce critère à l’espèce, il estimait qu’il existait différents éléments « qui ne seraient certainement pas de nature, à eux seuls, à caractériser un intérêt pour agir, mais dont le cumul permet de témoigner qu’en l’espèce, la poursuite de l’exécution de la DSP a une incidence directe et suffisamment grave sur la situation de l’intéressée dont il est manifeste, au vu de l’historique du dossier, de son objet social, de son implantation et de la nature des activités, qu’elle a la vocation et les capacités à prendre en charge l’exploitation du site des carrières. Surtout, il ressort avec évidence des pièces du dossier que, vu la monoactivité de cette société, c’est sa pérennité, ou en tout cas l’essentiel de son activité, qui dépend de la poursuite du contrat » Et de rejeter l’argument selon lequel il serait de toute façon toujours loisible à la collectivité de reprendre en régie le service public jusqu’alors délégué.

En outre, il estimait bien fondé le moyen d’illégalité du refus de résilier retenu par la CAA : la prolongation par avenant de 5 ans de la durée DSP, « qui correspondait à la moitié de la durée initiale, portait sur des domaines (la sécurisation du site, la réinstallation des réseaux et la création d’un nouvel accès chantier) qui paraissaient parfaitement prévisibles ab initio. Le pourvoi ne fait d’ailleurs état d’aucunes circonstances nouvelles intervenues entre 2010 et 2012 qui justifieraient des travaux supplémentaires alors, au contraire, que le procès-verbal d’état des lieux de sortie du 16 février 2011 mentionne le bon état de locaux ». On ajoutera que, dans cette affaire, les protagonistes ont été condamnés pénalement pour ce même motif pour favoritisme, même s’il est vrai que le jugement du tribunal correctionnel est frappé d’appel et que le juge administratif n’est pas lié par une telle condamnation, quand bien même elle serait définitive.

Pourtant, le Conseil d’État juge, à propos de l’arrêt de la CAA, que : « En statuant ainsi, alors que ni la circonstance que la société ait exploité le site par le passé, ni la circonstance qu'elle pourrait se porter candidate à une éventuelle réattribution de la délégation au terme de celle actuellement en cours ne suffisent à justifier qu'elle serait susceptible d'être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution de la convention, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ». La motivation est un peu décevante, car le rapporteur public ne disait pas autre chose et pourtant proposait d’admettre l’intérêt lésé pour d’autres raisons, citées plus haut. On doit donc déduire que ces raisons ne sont pas plus de nature à justifier d’un intérêt lésé, mais on a du mal à voir comment un concurrent potentiel pourrait donc, à l’avenir, prouver d’un intérêt lésé alors même qu’il pourrait mettre en avant d’autres éléments.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public