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CJUE, 20 avril 2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato contre Comune di Ginosa, aff. C‑348/22

Commentaire par Laurent Richer, professeur agrégé de droit public

La directive « Services » 2006/123 est valide et son article 12 §§ 1 et 2 est d’effet direct, ce qui prohibe le renouvellement automatique des autorisations domaniales. La rareté de la ressource peut être appréciée aussi bien de manière générale et abstraite qu’ en fonction du territoire côtier concerné.

Sommaire de L'Essentiel du droit des Contrats Publics - Octobre 2023

Commentaires de textes ou décisions
 

Conseil d'Etat, 12 juillet 2023, n° 469319, Grand port maritime de Marseille
La conciliation entre prérogatives légales des assureurs et prérogatives prétoriennes des acheteurs publics titulaires de contrats administratifs.


► Conseil d'Etat, 19 juillet 2023, n° 465308, Société Seateam Aviation et n° 465309, Société Prolarge
Le délai de recours raisonnable d’un an à compter de la connaissance de l’acte en dépit de l’absence de publicité régulière (jurisprudence Czabaj) s’applique au recours Tropic travaux et/ou Tarn-et-Garonne.

 

► Avis du Conseil d’État (section des travaux publics), 8 juin 2023, n° 407003, portant sur la sécurisation des mesures permettant d’assurer une meilleure prise en compte de l’intérêt public dans l’équilibre des contrats de concession autoroutière
La résiliation des concessions d’autoroutes pour motif de « surrentabilité » n’est en principe pas possible, à l’exception du cas d’altération profonde et irréversible de l’équilibre économique de la concession. En tout état de cause existerait un droit à indemnité.


► Avis du Conseil d’État (section des finances), 8 juin 2023, n° 407004, portant sur la contribution de certaines sociétés titulaires de contrats de concession ou de contrats assimilés au financement des investissements publics
Il est possible à la loi de créer une taxe sur les concessionnaires ou sur les concessionnaires d’autoroutes, mais impossible de neutraliser le mécanisme de compensation prévu par contrat.


Cour de justice de l'Union européenne, 20 avril 2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato contre Comune di Ginosa, aff. C‑348/22
La directive « Services » 2006/123 est valide et son article 12 §§ 1 et 2 est d’effet direct, ce qui prohibe le renouvellement automatique des autorisations domaniales. La rareté de la ressource peut être appréciée aussi bien de manière générale et abstraite qu’ en fonction du territoire côtier concerné.

  

Brèves

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Décision commentée :

Cour de justice de l'Union européenne, 3e ch., 20 avril 2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato contre Comune di Ginosa, aff. C‑348/22

► Consulter le texte de la décision.

 

Commentaire de la décision :


Cet arrêt a été rendu sans conclusions de l’avocat général, ce qui s’explique facilement par le fait que les réponses aux questions nombreuses posées à la Cour se trouvaient déjà dans la jurisprudence.

Sous la pression de la Commission européenne un decreto legislativo de 2010 a transposé la directive « Services » 2006/123 en prévoyant une procédure de mise en concurrence des autorisations d’activités de services. Cela n’a pas empêché que survive, parallèlement, un dispositif législatif prévoyant le renouvellement automatique des concessions sur le domaine maritime en cours.

La commune de Ginosa, dans les Pouilles, a adopté une décision d’application de la législation sur le renouvellement aux concessionnaires de ses plages. C’est à l’occasion du recours de l’Autorité de la concurrence contre cette décision que la CJUE a été saisie de questions préjudicielles relatives à l’article 12 de la directive 2006/123. Il s’agit donc d’un cas d’invocation d’une directive par une autorité nationale, question qui n’est pas envisagée dans cette affaire (sur ce sujet, voir S. Xefteri, La directive européenne, instrument juridique des autorités administratives nationales, Bruylant, 2021).

Rappelons que selon l’article 12 § 1 de la directive 2006/123 : «Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ».

Et le paragraphe 2 exclut de la façon la plus expresse aussi bien le renouvellement automatique que le droit de préférence : « Dans les cas visés au paragraphe 1, l’autorisation est octroyée pour une durée limitée appropriée et ne doit pas faire l’objet d’une procédure de renouvellement automatique, ni prévoir tout autre avantage en faveur du prestataire dont l’autorisation vient juste d’expirer ou des personnes ayant des liens particuliers avec ledit prestataire ».

La législation italienne sur le renouvellement automatique était manifestement et frontalement contraire à l’article 12 § 2.

La commune de Genosi, soutenue devant la Cour par de nombreuses sociétés concessionnaires et syndicats professionnels, a tenté de déplacer le problème.

Les neuf questions posées, passablement alambiquées, avaient trait à trois principaux sujets : la validité de la directive 2006/123 – pas moins -, l’applicabilité directe de l’article 12 et la mise en œuvre de la notion de rareté. La commune a soutenu que la directive serait illicite au motif d’un choix erroné de base légale, qu’elle ne serait pas d’application directe parce qu’elle laisse aux États membres le soin d’établir les règles de sélection et que la notion de rareté ne peut être appréciée par le juge national.

En ce qui concerne le choix de base légale il était avancé que la directive 2006/123 est une directive d’harmonisation et non de libéralisation et aurait donc dû être adoptée par le Conseil à l’unanimité et non par une majorité qualifiée.

La directive 2006/123 a été adoptée sur la base de l’article 47 § 2 du Traité instituant la Communauté européenne (art.53 TFUE). Cet article prévoyait l’adoption de directives relatives à « la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l'accès aux activités non salariées et à l'exercice de celles-ci ». L’article 47 renvoyait à la procédure d’adoption de l’article 251 (art. 294 TFUE), dans laquelle le Conseil statue à la majorité qualifiée.

Selon la commune de Genosi, il aurait fallu prendre comme base légale l’article 94 Tr. CE (art. 115 TFUE), selon lequel « le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché commun ».

Indéniablement la directive dans certains de ses articles, procède à une harmonisation, mais, décide la Cour, elle vise expressément à opérer une coordination, elle est principalement une directive de libéralisation. Elle est donc valide.

La question de l’harmonisation revenait dans le débat à propos de l’effet direct de l’article 12 §§ 1 et 2.

Selon la commune de Genosi, l’article 12 ne peut être invoqué directement car il ne serait pas inconditionnel et précis puisqu’il laisse aux États le soin de définir la procédure d’attribution des autorisations.

Il est répondu (point 67), conformément à la jurisprudence antérieure, que : «Certes, les États membres conservent une certaine marge d’appréciation s’ils décident d’adopter des dispositions destinées à garantir concrètement l’impartialité et la transparence d’une procédure de sélection. Il n’en demeure pas moins que, en imposant l’organisation d’une procédure de sélection impartiale et transparente, l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2006/123 prescrit, de manière inconditionnelle et suffisamment précise, un contenu de protection minimale en faveur des candidats potentiels (voir, par analogie, arrêts du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06,, point 74, ainsi que du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, point 105) ». L’article 12 § 1 a donc effet direct.

Encore moins douteux est l’effet direct de l’article 12 § 2 qui prohibe sans ambiguïté le renouvellement automatique.

Il est aussi rappelé (point 73) que l’interprétation donnée antérieurement par un arrêt préjudiciel s’incorpore au texte interprété et vient de la sorte ajouter en précision. Or l’arrêt du 14 juillet 2016 Promoimpressa (aff. C-458/14) « éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de la règle énoncée à cette disposition de la directive 2006/123, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur, soit, conformément à l’article 44 de cette directive, depuis le 28 décembre 2009 au plus tard ».

En ce qui concerne la rareté la question préjudicielle ne portait pas sur le point de savoir si en l’espèce elle existait. Il était demandé à la Cour de dire si l’appréciation de la rareté relevait du juge national se prononçant de manière générale et abstraite ou de la commune en fonction de son territoire côtier.
Dans le premier cas il est à penser que la rareté serait plus facilement admise que dans le second.

Cette question illustre le difficulté suscitée par l’emploi d’une notion économique sans effort de traduction en critères juridiques. Elle aurait pu être l’occasion pour la Cour de préciser la méthode. L’occasion est manquée, l’arrêt reconnaît en la matière la marge d’appréciation des États et admet que les deux méthodes distinguées par la question peuvent être employées.
En pratique, s’agissant du domaine public maritime, il est à penser que l’analyse portera sur le marché local et qu’elle aboutira à la conclusion que les ressources sont rares.
Il revient donc au juge italien de tirer les conséquences de l’effet direct de l’article 12.

Il s’agit du droit italien. En droit français les droits à renouvellement automatique et droits de préférence ont disparu, mais l’article L. 2122-1-2 du CGPP prévoit que la procédure d’attribution n’est pas applicable « lorsque le titre a pour seul objet de prolonger une autorisation existante, sans que sa durée totale ne puisse excéder celle prévue à l'article L. 2122-2 ou que cette prolongation excède la durée nécessaire au dénouement, dans des conditions acceptables notamment d'un point de vue économique, des relations entre l'occupant et l'autorité compétente ». Il ne s’agit pas de prolongation automatique, la prolongation n’est possible qu’à certaines conditions, mais il s’agit quand même d’un « avantage en faveur du prestataire dont l’autorisation vient juste d’expirer » en principe prohibé par l’article 12.

Pr. Laurent RICHER
Professeur agrégé de droit public