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CE, 4 avril 2024, n° 491068, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, classé C

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Une personne publique peut s’opposer à la résiliation d’un marché public d’assurance par un assureur malgré un préavis de plus de huit mois.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Avril 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, Sect., 22 mars 2024, n°455107, Caisse primaire d’assurance maladie du Puy-de-Dôme, classé A
Une transaction n’est pas invocable par un tiers même subrogé dans les droits de la victime.


CE, Sect., 22 mars 2024, n°471048, Association Bon Sens, classé A
Les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour se prononcer sur une demande d’annulation d’une clause d’un bon de commande passé par un organisme français passé en application d’un contrat-cadre conclu par la Commission européenne.


CE, 3 avril 2024, n° 472476, Société Victor Hugo 21, classé A
Un bail en l’état futur d’achèvement doit être requalifié en marché public lorsque la personne publique exerce une influence sur la structure architecturale de ce bâtiment et sur la spécificité ou l’ampleur des aménagements intérieurs.


CE, 4 avril 2024, n° 491068, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, classé C
Une personne publique peut s’opposer à la résiliation d’un marché public d’assurance par un assureur malgré un préavis de plus de huit mois.


CAA Marseille, 12 février 2024, n°22MA01509, Commune d’Ajaccio, classé C+
Un contrat confiant à une société privée la mission du contrôle des déclarations fiscales relatives à la taxe locale sur la publicité extérieure a un contenu illicite.

 

Brèves

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Décision commentée :

Conseil d'Etat, 4 avril 2024, n° 491068, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, classé C

► Consulter le texte de la décision.

 

Commentaire de la décision :

Bien que classée C et en « jugeant seule », c’est-à-dire chambre unique, cet affaire peut retenir l’attention au regard de la compréhension dont fait preuve le juge administratif à l’égard d’une personne publique décidant de s’opposer à la résiliation prononcée par un assureur. Le Code des assurances prévoit une telle possibilité de manière générale, avec un préavis de deux mois sauf stipulations prévoyant un préavis plus long, et ces dispositions valent par principe aussi pour les marchés publics d’assurance. Néanmoins, le Conseil d’Etat y a apporté une dérogation en 2023 :

« Il résulte toutefois des principes généraux applicables aux contrats administratifs que lorsque l'assureur entend en faire application pour résilier unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d'assurance, cette dernière peut, pour un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, s'y opposer et lui imposer de poursuivre l'exécution du contrat pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché public d'assurance, sans que cette durée ne puisse en toute hypothèse excéder douze mois, y compris lorsque la procédure s'avère infructueuse. L'assureur peut contester cette décision devant le juge afin d'obtenir la résiliation du contrat » (CE, 12 juillet 2023, Grand port maritime de Marseille, n°469319).


En l’espèce, il ne fait guère de doute qu’il existait un motif d’intérêt général compte tenu de l’objet de la police d’assurance « de garantir l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers appartenant à la métropole Toulon Provence Méditerranée ou dont cette dernière a la garde en vue de l’exécution des missions de service public dont elle est chargée contre divers risques, tels ceux d’incendie, d’explosion, de dégâts des eaux, de catastrophes naturelles, d’actes de vandalisme ou de terrorisme ». Il en irait probablement autrement pour des assurances non obligatoires et qui couvrent des biens très particuliers et pas essentiels au fonctionnement du service public.

La question que pose cette affaire concerne le délai du préavis puisque l’assureur avait notifié, le 7 avril, la résiliation du contrat au 31 décembre de la même année, ce qui laissait tout de même plus de neuf mois pour relancer une procédure de passation. Le Conseil d’Etat juge implicitement que ce délai n’était pas suffisant, sans donc en justifier et les conclusions n’apportent pas plus d’éléments probants à cet égard. Plus encore, ce n’est que le 23 décembre que la métropole s’est opposée à la résiliation et, devant le refus de l’assureur, a saisi le TA d’un référé mesure utile, rejeté le 5 janvier. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat s’appuie sur le contrat, qui prévoyait un préavis de six mois, et non sur la date effective d’envoi de la notification du préavis, pour juger le délai insuffisant. Autant d’éléments qui auraient pu, selon nous, faire pencher la balance dans le sens de rejet de la demande d’opposition à résiliation.

Au contraire, le Conseil d’Etat ordonne « à la société Groupama Méditerranée de reprendre intégralement l’exécution des prestations auxquelles cette société est obligée par le contrat en litige, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché d’assurance par la métropole Toulon Provence Méditerranée, sauf à ce que cette dernière y renonce, et au plus tard, dans les circonstances de l’espèce, jusqu’au 30 décembre 2024 ». On aboutit finalement à laisser à la collectivité un délai équivalent à celui qui lui avait été laissé par l’assurer initialement…

Il est à noter que la question des marchés d’assurances a fait l’objet d’un récent rapport sénatorial qui ne résout pas, ni sur les questions juridiques ni sur le manque de concurrence voire l’absence d’opérateurs. Il semblerait en outre que la tendance soit, pour les assureurs concernés – deux opérateurs interviennent surtout dans le secteur – de ne pas répondre aux appels d’offres et de permettre ainsi de passer ensuite un marché de gré à gré, ce qui n’est pas très sein.

On doit aussi noter que le guide pratique de la DAJ sur le sujet, datant de 2008, estime qu’il n’y a pas lieu à ouvrir une procédure négociée. Il serait bon qu’il soit actualisé dans la mesure où les conditions de recours à cette dernière ont été assouplies avec la transposition des directives de 2014 et que l’on peut penser que le recours à la procédure négociée permettrait peut-être d’accroitre la concurrence.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public