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CAA Marseille, 12 février 2024, n°22MA01509, Commune d’Ajaccio, classé C+

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Un contrat confiant à une société privée la mission du contrôle des déclarations fiscales relatives à la taxe locale sur la publicité extérieure a un contenu illicite.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Avril 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, Sect., 22 mars 2024, n°455107, Caisse primaire d’assurance maladie du Puy-de-Dôme, classé A
Une transaction n’est pas invocable par un tiers même subrogé dans les droits de la victime.


CE, Sect., 22 mars 2024, n°471048, Association Bon Sens, classé A
Les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour se prononcer sur une demande d’annulation d’une clause d’un bon de commande passé par un organisme français passé en application d’un contrat-cadre conclu par la Commission européenne.


CE, 3 avril 2024, n° 472476, Société Victor Hugo 21, classé A
Un bail en l’état futur d’achèvement doit être requalifié en marché public lorsque la personne publique exerce une influence sur la structure architecturale de ce bâtiment et sur la spécificité ou l’ampleur des aménagements intérieurs.


CE, 4 avril 2024, n° 491068, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, classé C
Une personne publique peut s’opposer à la résiliation d’un marché public d’assurance par un assureur malgré un préavis de plus de huit mois.


CAA Marseille, 12 février 2024, n°22MA01509, Commune d’Ajaccio, classé C+
Un contrat confiant à une société privée la mission du contrôle des déclarations fiscales relatives à la taxe locale sur la publicité extérieure a un contenu illicite.

 

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Décision commentée :

Cour administrative d'appel de Marseille, 12 février 2024, n° 22MA01509, Commune d'Ajaccio, classé C+

► Consulter le texte de la décision.

 

Commentaire de la décision :

Cet arrêt de cour, classé C+ (à publier aux tables du recueil Lebon), illustre à nouveau la notion de contenu illicite d’un contrat dans le cadre d’un recours Béziers I. La commune d’Ajaccio avait signé avec une société « une convention d'audit et de conseil en ingénierie fiscale en vue d'identifier, au profit de la commune, les possibilités d'optimisation de la taxe locale sur la publicité extérieure au titre de l'année 2017 ». Estimant que la commune avait mis fin de manière unilatérale aux relations contractuelles, la société a émis une facture d'un montant de 30 000 euros toutes charges comprises dont le paiement a été refusé par un courrier du maire d'Ajaccio. Après réclamation préalable rejetée par le maire, la société a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à la condamnation de la commune d'Ajaccio à lui verser la somme de 30 000 euros au titre d'une facture impayée. Par le jugement du 29 mars 2022, le tribunal administratif a fait droit à cette demande. La commune d'Ajaccio a relevé appel de ce jugement et la Cour administrative d’appel lui donne raison.

Après avoir analysé dans le détail le contrat, la Cour estime que :

« [...] la mission dévolue contractuellement à la société CTR ne se limitait pas au recensement des enseignes, préenseignes et dispositifs publicitaires et à la fourniture de conseils d'ordre général, mais impliquait l'accès à des données fiscales personnelles (…). En outre, l'article 5.1 de la convention confiait à la société le soin d'" effectuer la gestion des contestations " des contribuables. Enfin, l'article 5.2 de cette convention prévoyait l'obligation pour la commune d'assurer la " transmission à CTR de tous les éléments et documents justifiant de la perception de la Taxe ". Dans cette mesure, la convention a fait participer la société à l'exécution même du service du contrôle fiscal. La circonstance que la société CTR n'émettait pas elle-même les titres de recettes, mais se bornait à " accompagner " la commune, " qui à aucun moment n'abandonnait son pouvoir à la société ", n'est pas de nature à modifier cette analyse, dès lors qu'ainsi qu'elle le reconnaît, la société participait à l'examen des situations fiscales individuelles conduisant à l'établissement des rôles. »


Le fichage de l’arrêt fait la comparaison avec la police administrative et la vénérable jurisprudence Ville de Castelnaudary (CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, n° 12045, p. 595) On peut aussi citer l’arrêt Sogeparc sanctionnant une délégation de prérogatives de police de stationnement sur la voie publique et mettant à la charge du concessionnaire des dépenses étrangères à l'exploitation des ouvrages, en l’occurrence, la rémunération d ‘agents municipaux (CE, 19 décembre 2007, n° 260327). Il est vrai que rares sont les hypothèses de transfert de gestion d’une taxe, a fortiori sanctionné par un juge et c’est aussi en cela que l’arrêt est intéressant.

La Cour prend soin de s’appuyer, pour conclure à l’illicéité de l’objet du contrat, sur le CGCT : « Le service de contrôle de l'assiette des impositions de toute nature ne peut être confié qu'à des agents placés sous l'autorité directe de l'administration, qui, dans le cas de la taxe locale sur la publicité extérieure, sont, en vertu des dispositions précitées de l'article R. 2333-13 du code général des collectivités territoriales, les agents de la commune percevant la taxe, lesquels sont d'ailleurs astreints, en vertu de l'article L. 103 du livres des procédures fiscales, au secret professionnel ». Cette référence textuelle est intéressante tant il est permis de penser que la Cour aurait pu s’en passer.

Sans surprise, elle estime que les clauses illicites en question sont indivisibles du reste du contrat et en déduit l’annulation de celui-ci.

Les conclusions du rapporteur public sont également notables en ce que, avant de proposer d’annuler le contrat, il entendait répondre aux arguments des parties quant au droit à rémunération ou non du cocontractant. En vertu de la convention, il s’agissait d’honoraires, établis sur la base des résultats obtenus. La commune d’Ajaccio soutenait que la somme réclamée par la société CTR n’était pas due, dès lors que la rémunération du prestataire est conditionnée à l’augmentation du produit de la taxe. Interprétant le contrat qui n’était pas très clair sur ce point, le rapporteur public donnait raison à la commune et ajoutait que le rapport remis à la collectivité par la société CTR ne permettait pas d’établir que les prestations de la société auraient apporté des recettes supplémentaires de TLPE à la commune. En somme, le prestataire n’apportait pas la preuve de l’optimisation fiscale et n’aurait pas eu droit, en tout état de cause, à une rémunération à ce titre.

En revanche, l’annulation du contrat pose la question de son droit à indemnité, qui n’était pas ici en cause puisque la demande indemnitaire était de nature contractuelle. Mais il est probable que, compte tenu du contenu illicite, il ne pourra réclamer quoique ce soit puisqu’il manquera alors le lien de causalité entre la faute éventuelle de la personne publique et son préjudice, comme la précédente newsletter l’a illustré (CE, 2 février 2024, 471318, Société gestion cuisines centrales Réunion).

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public