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TC, 7 juillet 2025, 4353, Commune de Grand Quevilly c/ Union des groupements d'achats publics, classé A

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Un litige relatif à l’achat d’un véhicule par l’UGAP ne relève manifestement pas du judiciaire qui n’est donc pas compétent même s’il est saisi d’une demande d’expertise.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Juillet 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 17 juillet 2025, 503317, Commune de Berck-sur-Mer, classé A
Les biens des tiers affectés au fonctionnement de services publics peuvent être, dans certaines circonstances, qualifiés de bien de retour.


► CE, 15 juillet 2025, 490592, Société Le Chalet des Jumeaux, classé B
Une autorité concédante peut limiter le nombre de lots pour lesquels un même opérateur économique peut présenter une offre, sous réserve que cette limitation soit justifiée par l’objet de la concession, les nécessités propres au service public délégué ou la procédure de passation du contrat, et non disproportionnée.


CE, 15 juillet 2025, 494073, Société nouvelle laiterie de la montagne, classé B
L’absence de clause de révision de prix ne peut conduire le juge à écarter le marché ; pour déterminer s’il y a lieu de modérer les pénalités, le juge du contrat apprécie la gravité de l’inexécution constatée de la part du cocontractant au regard des fautes commises par l’acheteur public.


TC, 7 juillet 2025, 4353, Commune de Grand Quevilly c/ Union des groupements d'achats publics, classé A
Un litige relatif à l’achat d’un véhicule par l’UGAP ne relève manifestement pas du judiciaire qui n’est donc pas compétent même s’il est saisi d’une demande d’expertise.


 

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Décision commentée :

TC, 7 juillet 2025, 4353, Commune de Grand Quevilly c/ Union des groupements d'achats publics, classé A

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Commentaire de la décision :


Un véhicule électrique acheté par une commune à l’UGAP ayant pris feu, ladite commune a assigné en référé devant un tribunal judiciaire son assureur, l’UGAP, la société ayant fourni le véhicule et la société chargée de l’entretien du véhicule, afin de faire ordonner une expertise pour déterminer les causes du sinistre. Par une ordonnance du 2 juillet 2024, le juge des référés, après avoir rejeté une exception d’incompétence de la juridiction judiciaire, a fait droit à la demande, mais le Tribunal des conflits, saisi par le Préfet, déclare les juridictions administratives compétentes pour le référé expertise.
 
La solution permet d’illustrer le cas particulier du déclinatoire de compétence dans le cadre d’une demande d’expertise. Initialement, le Tribunal des conflits a jugé « qu'en l'état où la demande ne tend qu'à voir ordonner une mesure d'instruction avant tout procès et avant même que puisse être déterminée, eu égard aux parties éventuellement appelées en la cause principale, la compétence sur le fond du litige, mais que le fond du litige est de nature à relever, fût-ce pour partie, de la compétence des juridictions de l'ordre auquel il appartient, le juge des référés ne peut refuser de se saisir ; qu'il s'ensuit que le tribunal administratif ne pouvait en l'espèce renvoyer au Tribunal des Conflits le soin de trancher sur la question de compétence » (TC, 17 octobre 1988, SA Entreprise Niay, 02530B, p. 494). Il a logiquement ajouté ensuite « qu'il n'en est autrement que lorsqu'il est demandé au juge des référés d'ordonner une mesure d'instruction qui porte à titre exclusif sur un litige dont la connaissance au fond n'appartient manifestement pas l'ordre de juridiction auquel il appartient », même s’il avait alors estimé qu’en l’espèce, « la demande d'expertise relative à la recherche de la cause de l'accident était formulée non seulement à l'égard de la D.R.I.R.E. du Lot, service administratif chargé d'une mission de service public, mais aussi de M. Y... » et que donc « le litige ne relève manifestement pas de la compétence du seul ordre administratif » (TC, 23 octobre 2000, Société Capraro et S.M.A.B.T.P., Consorts G…, 3220).
 
La décision commentée reprend cette formulation de principe, mais conduit le tribunal des conflits, pour la première fois nous semble-t-il dans le cadre d’un référé instruction, à la compétence des juridictions administratives.
 
Pour ce faire, il fallait donc s’assurer que le juge judiciaire ne serait en aucune manière compétent, ce qui conduit le Tribunal des conflits à juger que les quatre contrats en cause sont administratifs.
 
Le premier est relatif à l’achat d’un véhicule par l’UGAP pour le compte d’une commune. Sans surprise, le tribunal des conflits juge que le marché passé par l’UGAP avec le fournisseur au temps du Code des marchés publics est un contrat administratif par application de la loi MURCEF du 11 décembre 2001 qui qualifiait tous les contrats passés en application du Code des marchés publics par les personnes soumises à ce Code – dont l’UGAP - de contrats administratifs. Il est à noter toutefois que cette soumission au Code était originale pour un établissement public industriel et commercial comme l’UGAP car les EPIC étaient par principe soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 qui ne comportait pas une telle qualification légale. Mais la soumission au Code des marchés publics résultait de l’article 17 du décret du 30 juillet 1985 relatif au statut et au fonctionnement de cet établissement public industriel et commercial. Depuis l’ordonnance du 23 juillet 2015 (reprise dans le Code de la commande publique), ce sont toutes les personnes morales de droit public qui sont soumises à cette qualification légale, EPIC compris donc.

La solution n’allait toutefois pas de soi, car on aurait pu voir dans les centrales d’achat des mandataires (ou à tout le moins des personnes agissant pour le compte d’une personne publique comme dans CAA Paris, 12 mai 2022, 21PA03760, à propos d’une association centrale d’achat) puisqu’elles réalisent des achats « au bénéfice des pouvoirs adjudicateurs » (article L2113-2 du CCP), de sorte que c’est la nature des contrats passés par le mandant qui aurait alors importé (CE, 28 juillet 1995, Société de gérance Jeanne d’Arc, 143438). Certes, en l’occurrence, la nature aurait été la même puisque le contrat était passé pour le compte d’une commune, mais il aurait pu en aller autrement lorsque l’UGAP achète pour le compte de pouvoirs adjudicateurs qui sont des personnes morales de droit privé. Tel ne sera donc pas le cas.

S’agissant du contrat passé entre la commune et l’UGAP et de manière originale pour le Tribunal des conflits ou le Conseil d’État, nous semble-t-il, sa nature est administrative « par voie de conséquence » de la nature administrative du premier contrat. Une telle formule, inédite, semble renvoyer à l’interdépendance entre contrats. Cette dernière peut prendre la forme de la théorie de l’accessoire, illustrée dans d’autres contextes (dans le cas de conventions tripartites - TC, 14 mai 2018, Société Batimat c/ Commune de Nogent-sur-Seine, C4119 ou les contrats de cautionnement accompagnant un contrat administratif - CE, Sect., 13 octobre 1972, SA de Banque Le Crédit du Nord, AJDA 1973, p. 213). L’autre cas d’interdépendance vise l’indivisibilité, mais suppose deux contrats signés par les mêmes parties (TC, 27 septembre 1999, Société Transdev), ce qui n’était pas le cas ici. Une troisième hypothèse a pu émerger, que l’on a pu qualifier d’effet attractif du contrat administratif (L. Richer, F. Lichère, Droit des contrats administratifs, 13e édition, p. 124), s’agissant d’une action en responsabilité délictuelle pour rupture prétendument abusive de relations commerciales par une personne publique dont le Tribunal des conflits a jugé qu’elle relevait du juge administratif (TC, 8 février 2021, SNCF Réseau, 4201).

Là encore, on aurait pu imaginer une autre solution, basée tout simplement sur la qualification légale de contrat administratif : le contrat passé entre un pouvoir adjudicateur et une centrale d’achat n’est autre qu’un marché public, même s’il n’y a pas de mise en concurrence, car il s’agit bien d’une prestation de service rémunérée. Mais une telle approche aurait pu aussi conduire à ce que certains de ces contrats ne soient pas administratifs, si le pouvoir adjudicateur ayant recours à la centrale d’achat est une personne morale de droit privé. De manière surprenante, le juge de première instance avait jugé ici que ce contrat était de droit privé.
 
Enfin, les deux autres contrats sont conclus directement par la commune et sont très logiquement, par application une fois encore de la loi MURCEF, administratifs : c’est le cas du contrat conclu par la commune avec la société chargée de l’entretien de ce véhicule, de même que celui conclu avec l’assureur du véhicule, « les services d'assurances des personnes publiques ayant été soumis aux dispositions du code des marchés publics par l'article 1er du décret n° 98-111 du 27 février 1998 modifiant le code des marchés publics », alors que le juge d’appel avait estimé être en présence d’un contrat de droit privé.
 
La solution adoptée ici par le Tribunal des conflits conduit donc à créer un bloc de compétence s’agissant des contrats conclus par les centrales d’achats ayant le statut de personnes morales de droit public.

La question reste posée néanmoins de savoir si la solution adoptée pour le deuxième contrat, administratif par voie de conséquence, vaudra pour les accords-cadres dans lesquels les marchés subséquents sont signés par les clients de l’UGAP, y compris lorsqu’ils sont de droit privé à l’image des SEM et SPL. 

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public