• Droit,

Cour des comptes, Rapport, Décembre 2024

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

La Cour des comptes publie un important rapport sur « les délégations de gestion de services publics locaux » (Décembre 2024).

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Mars 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

Cour des comptes, "Les délégations de gestion de services publics locaux", Rapport, 2024
La Cour des comptes publie un important rapport sur « les délégations de gestion de services publics locaux ».


► CE, 13 mars 2025, 498701, Société Nord Sud Architecture, classé B
Le délai de standstill ne s’applique pas au marché de maîtrise d’œuvre passé à l’issue d’un concours, même si l’acheteur se soumet volontairement à un tel délai.


CAA Marseille, 28 février 2025, 23MA01629, Société GVC Services
La procédure de choix d’un titulaire d’une convention d’occupation du domaine public doit respecter le principe de transparence qui s’applique aussi sur la composition de l’entité chargé du choix.


CAA Marseille, 3 mars 2025, 24MA00756, Société Suez Eau France
Une demande indemnitaire fondée sur l’interprétation d’une clause contractuelle n’a pas à respecter ni le délai de deux mois de l’article R 421-1 du CJA ni le délai « Czabaz ».


► CJUE, 13 février 2025, SIA, C‑684/23
Un opérateur interne, au sens du règlement n°1370/2007, choisi sans mise en concurrence peut être candidat, sous conditions, à un contrat de transport par bus ouvert à la concurrence.


 

Brèves

Accéder aux brèves.

  

Texte commenté :

Rapport de la Cour des comptes sur "Les délégations de gestion de services publics locaux" (Décembre 2024)

► Consulter le rapport.

 

Commentaire du rapport :


Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas une source de droit positif que nous commentons. Néanmoins, on sait l’importance que revêtent les rapports de la Cour des comptes (et des CRCT), et sont un aspect de ce qu’on appelle parfois le droit souple qui produit des effets certes juridiquement non contraignants mais réels.

Ce rapport de 138 pages met en avant un certain nombre de problématiques liées aux délégations de service public locaux et propose des solutions pour y remédier, certaines supposant une intervention du législateur mais beaucoup supposant une adaptation des comportements des collectivités territoriales ou des clauses de leurs contrats. S’il commence par indiquer que les données de base ne correspondent pas à une véritable enquête statistique, il s’appuie néanmoins sur les constats de 117 rapports récents de chambres régionales des comptes traitant de délégations de gestion de services publics et sur une enquête nationale menée auprès des administrations de l’État et des associations de collectivités. La Cour note toutefois qu’« en dehors, dans une certaine mesure, des domaines de l’eau, de l’assainissement et des déchets, les données relatives à la place, au montant, à la durée et à l’environnement concurrentiel des délégations de service public font largement défaut ».

Du reste, c’est sur le défaut d’information sur l’exécution des DSP que les principales critiques portent. Si les usagers du service sont souvent associés au suivi des délégations, par la voie d’enquêtes de satisfaction, voire par leur participation à des instances de gouvernance (comités d’usagers, représentants d’habitants), une acception plus large de la qualité du service, s’étendant à la sécurité des usagers et aux incidences du service sur l’environnement, serait nécessaire. S’agissant de l’information des collectivités locales, on est surpris d’apprendre qu’il y a souvent « absence de compte d’exploitation prévisionnel » ce qui, sans surprise cette fois, « amoindrit la transparence des contrats et facilite la constitution de marges peu visibles ». De même, bien que le droit positif prévoie désormais un accès aux données pendant l’exploitation de la délégation, « des dispositions restrictives empêchent encore les collectivités d’accéder à première demande à des données importantes pour leur contrôle du fonctionnement et de la situation économique des délégations » et il conviendrait aussi que le droit positif (ou, peut-on ajouter, des clauses) porte de six à dix-huit mois avant l’échéance du contrat de délégation le délai minimal pour la transmission par l’entreprise délégataire à la collectivité délégante du fichier des abonnés, des caractéristiques des compteurs et, le cas échéant, des plans des réseaux d’eau et d’assainissement. Le contrat devrait aussi contenir la liste et les modalités de la tenue d’un inventaire précis des différentes catégories de biens immatériels (comme les logiciels) et matériels de l’activité déléguée pour faciliter les opérations de fin des contrats.

S’agissant justement de la fin des contrats, les collectivités « devraient prévoir dès le contrat initial les conséquences financières et matérielles d’une résiliation anticipée pour motif d’intérêt général à leur initiative, à un moment où elles sont placées dans un rapport plus favorable avec les entreprises délégataires qu’elles ont choisies », ce qui semble exister en pratique tout de même assez fréquemment, et aussi qu’ « elles conviennent avec les entreprises délégataires, une à deux années avant le terme du contrat de délégation, d’un protocole de fin de contrat », ce qui semble assez courant également en pratique, même si ces protocoles ne sont pas toujours prévus dans les clauses initiales et que, quand ils le sont, ne sont pas toujours mis en œuvre.

Sur les aspects financiers, il est reproché que de nombreux apports sont faits aux délégataires confrontés à une situation imprévisible, comme celle de la covid-19, et que les « compensations de service public ont été maintenues malgré l’interruption de certains services ont permis à certaines entreprises délégataires de réaliser des bénéfices importants », alors que les collectivités bénéficient souvent de manière insuffisante des gains imprévus réalisés par les délégataires, faute d’intéressement aux bénéfices excédant un certain seuil, ce qui existe quand même parfois en pratique. Et il n’y a pas systématiquement de pénalités garantissant un bon suivi et, quand elles existent, elles ne sont pas toujours appliquées.

Mais la phase de passation n’est pas en reste. La Cour estime que les études préalables à la passation des DSP devraient être plus fréquentes et plus approfondies afin de permettre aux collectivités de choisir le mode de gestion le mieux adapté à leurs services publics. « Dans cet objectif, le contenu du rapport à présenter à l’assemblée délibérante au titre d’une première délégation ou du renouvellement d’une délégation de gestion d’un service public devrait être précisé dans les textes ». Les données de la concurrence – ou de son insuffisance - sont impressionnantes : en 2022 et 2023, il y a eu moins de deux offres par consultation ; dans plus d’un tiers des cas, une seule offre a été déposée et la présentation de plus de deux offres est constatée seulement dans un cas sur quatre à cinq. Les raisons : « certaines collectivités ne stimulent pas toujours suffisamment la concurrence, voire la restreignent : absence d’allotissement de prestations qui pourraient être scindées sur le plan géographique ou fonctionnel, période et durée de mise en concurrence inadéquates, conditions acceptées lors de la négociation avec l’entreprise retenue qui modifient substantiellement les termes de la mise en concurrence initiale, etc. Si une mise en concurrence est obligatoire dans ce cas de figure, la présence de sociétés d’économie mixte limite de fait sa portée, notamment lorsque de grands opérateurs nationaux participent à leur capital. Au-delà, les chambres régionales des comptes détectent dans le cadre de leurs contrôles des irrégularités avérées ». Le recours aux cabinets de conseil pour la préparation et la passation est encouragé, à condition de veiller aux risques de conflits d’intérêt avec les candidats. Une autre atteinte à la concurrence est la durée jugée excessive de la plupart des DSP, notamment quand on y ajoute les avenants de prolongation. Les raisons de cette absence peuvent aussi se trouver dans la charge administrative des procédures de passation pour des entreprises petites ou moyennes.

Pour finir, le rapport fait des recommandations d’évolutions législatives et d’autres des pratiques contractuelles, seules ces dernières retenant ici notre attention car immédiatement applicables :

« 1. Prévoir systématiquement dans les contrats de délégation de service public des clauses garantissant aux entités locales délégantes un retour financier lorsque le résultat dépasse significativement les prévisions initiales ou actualisées.
2.Définir systématiquement dans les contrats de délégation de service public des pénalités proportionnées à l’absence de réalisation par l’entreprise délégataire des objectifs fixés par le contrat et les appliquer de même systématiquement.
3. Dans le cadre du contrat initial et d’avenants à celui-ci, négocier étroitement le niveau de la rentabilité de la délégation de gestion, y compris après déduction des frais de siège et des achats de biens et de services facturés par des sociétés de l’entreprise délégataire au-delà des prix observables sur les marchés concernés.
4. Dans le cadre du contrat de délégation de service public ou d’avenants ultérieurs, définir exhaustivement les données et les bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public visées par l’article L . 3131-2 du code de la commande publique qui sont communiquées à l’autorité délégante.
5.Dans le cadre du contrat de délégation de service public et de ses avenants ultérieurs, identifier précisément les biens de retour, de reprise et propres à l’entreprise délégataire, immatériels comme matériels, prévoir les modalités d’un suivi détaillé de l’inventaire de ces trois catégories de biens et assurer ce suivi tout au long de la vie du contrat.
6. Prévoir dès le contrat initial les conséquences d’une résiliation anticipée de la délégation de service public pour l’entreprise délégataire et l’autorité délégante.
7. Conclure avec l’entreprise délégante, une ou deux années à l’avance, un protocole d’accord visant à sécuriser le bon fonctionnement du service public jusqu’au terme de la délégation et la transmission des informations nécessaires à la continuité du service ».


Ce rapport servira sans doute à pousser les parties à adopter ces recommandations alors que certaines parties, publiques ou privées, pouvaient être récalcitrantes jusqu’alors à mettre en place certaines bonnes pratiques, à l’image du compte d’exploitation prévisionnel ou du protocole de fin de contrats.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public