Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Une demande indemnitaire fondée sur l’interprétation d’une clause contractuelle n’a pas à respecter ni le délai de deux mois de l’article R 421-1 du CJA ni le délai « Czabaz ».
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Mars 2025
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Commentaires de textes ou décisions
► Cour des comptes, "Les délégations de gestion de services publics locaux", Rapport, 2024
La Cour des comptes publie un important rapport sur « les délégations de gestion de services publics locaux ».
► CE, 13 mars 2025, 498701, Société Nord Sud Architecture, classé B
Le délai de standstill ne s’applique pas au marché de maîtrise d’œuvre passé à l’issue d’un concours, même si l’acheteur se soumet volontairement à un tel délai.
► CAA Marseille, 28 février 2025, 23MA01629, Société GVC Services
La procédure de choix d’un titulaire d’une convention d’occupation du domaine public doit respecter le principe de transparence qui s’applique aussi sur la composition de l’entité chargé du choix.
► CAA Marseille, 3 mars 2025, 24MA00756, Société Suez Eau France
Une demande indemnitaire fondée sur l’interprétation d’une clause contractuelle n’a pas à respecter ni le délai de deux mois de l’article R 421-1 du CJA ni le délai « Czabaz ».
► CJUE, 13 février 2025, SIA, C‑684/23
Un opérateur interne, au sens du règlement n°1370/2007, choisi sans mise en concurrence peut être candidat, sous conditions, à un contrat de transport par bus ouvert à la concurrence.
Brèves
Décision commentée :
CAA Marseille, 3 mars 2025, 24MA00756, Société Suez Eau France
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
À vrai dire, la question allait de soi pour une demande indemnitaire qui aurait été faite après l’entrée en vigueur de l’article 24 du décret du 7 février 2019 qui a ajouté un dernier alinéa à l’article R 421-1 du CJA selon lequel « Le délai prévu au premier alinéa n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat ».
Mais les faits de l’espèce étaient antérieurs. Un délégataire avait d’abord demandé au juge d’interpréter une clause de son contrat, ce qui avait donné lieu à un arrêt du Conseil d’Etat renvoyant à la CAA de Marseille le soin de réinterpréter ladite clause en raison d’une dénaturation. Celle-ci a estimé, par un arrêt n° 17MA04419 du 13 avril 2018 devenu définitif, que le délégataire pouvait percevoir le produit de la « part fonctionnement » des contributions dues par certaines communes. La société Suez a alors obtenu du tribunal administratif de Nice la condamnation de la communauté d’agglomération à lui verser une somme de 2 245 284,90 euros TTC, jugement dont il a été fait appel.
La commune ayant (uniquement) soulevé la forclusion, l’apport de l’arrêt est de rejeter celle-ci.
En effet, la Cour juge « les dispositions des articles R. 421-1 et R. 421-2 du code de justice administrative sont inapplicables aux mesures prises pour l'exécution d'un contrat, ainsi que l'a depuis précisé l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction issue de l'article 24 du décret du 7 février 2019. En l'absence de stipulation contractuelle le prévoyant, aucun délai de recours n'a donc commencé à courir », y compris le délai « Czabaj » (CE Ass. 13 juillet 2016, n° 387763) précise la cour.
Pour le rapporteur public François Point, que nous remercions vivement pour la transmission de ses conclusions, « le dernier alinéa de l’article R.421-1, qui n’est entré en vigueur qu’à compter du 10 février 2019, n’a fait qu’éclaircir la portée du texte, les décisions mentionnées au premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative ne désignant que les actes unilatéraux de l’administration ». Et de citer un arrêt, mentionné aux tables, ayant jugé que « que la procédure de réclamation préalable décrite ci-dessus, notamment le délai de six mois pour saisir le juge du contrat à la suite de la notification à l'entrepreneur de la décision prise sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général, résulte des clauses contractuelles auxquelles ont souscrit les parties en signant le marché, qui organisent ainsi des règles particulières de saisine du juge du contrat ; que, dès lors, si en vertu des dispositions alors applicables de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, désormais reprises à l'article R. 421-5 du code de justice administrative, les délais de recours contre les décisions administratives ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision, ces dispositions n'étaient pas applicables au rejet par le maître de l'ouvrage de la réclamation préalable formée par les entrepreneurs à l'encontre du décompte général » (CE, 29 décembre 2008, M. Jean-Jacques Bondroit, n° 296948).
Il est vrai cependant que le Conseil d’Etat a pu juger que ce délai Czabaj jouait, pour un recours Tropic ou Tarn-et-Garonne, dans le cas où la publicité du contrat n’a pas été régulière mais où le requérant a, néanmoins, eu connaissance de sa conclusion (CE 19 juillet 2023, Société Seateam Aviation, n° 465308 ; CE 19 juillet 2023, Société Prolarge, n° 465309). Mais l’on peut admettre que cette jurisprudence vaut sauf texte contraire et que tel était certainement le cas, même implicitement, de l’article R 421-1 du CJA avant le décret du 7 février 2019 : par « décision », le texte visait probablement celles prises dans un cadre extracontractuel, même s’il est vrai que des « décisions » de la personne publique sont bien prises dans le cadre de l’exécution de contrats administratifs.
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public