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CJUE, 29 avril 2025, C‑452/23, Fastned Deutschland GmbH & Co. KG

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Les règles relatives à la modification des concessions s’appliquent même si le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house et sans que le requérant puisse contester l’attribution directe initiale ; les notions de travaux ou services devenus nécessaires et de nature globale sont d’interprétation stricte.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Mai 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 17 avril 2025, n° 501427, Société Consortium Stade de France, classé B
Il n’y a pas de conflits d’intérêts lorsqu’une autorité concédante fixe comme critère de choix la solidité des engagements des candidats pris auprès de tiers.


► CJUE, 29 avril 2025, C‑452/23, Fastned Deutschland GmbH & Co. KG
Les règles relatives à la modification des concessions s’appliquent même si le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house et sans que le requérant puisse contester l’attribution directe initiale ; les notions de travaux ou services devenus nécessaires et de nature globale sont d’interprétation stricte.


CE, 12 mai 2025, n°492917, SNCF Réseau, et n°494301, INRAE, classés C
Il n’est pas possible de modifier des concessions par voie législative sans respecter les règles de modifications prévues par la directive concessions.


Commission européenne, QandA sur l'application des arrêts Kolin et Qingdao
La Commission européenne publie un « QandA » sur la participation au marché public des soumissionnaires de pays tiers non couverts au regard de la jurisprudence récente de la cour de justice - CJUE 22 Octobre 2025 C-652/22, Kolin et 13 Mars 2025, C-266/22, Qingdao sur l’application des arrêts KOLIN (C-652/22,) et QINGDAO (C-266/22).


 

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Décision commentée :

CJUE, 29 avril 2025, C‑452/23, Fastned Deutschland GmbH & Co. KG

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Commentaire de la décision :


Deux requérants devant les juridictions nationales, Fastned et Tesla, contestaient la modification de 360 concessions de services, faite en 2022 à l’effet de faire installer, par les concessionnaires d’aires d’autoroutes allemandes, des bornes de recharge électriques. Plusieurs questions préjudicielles ont été posées à la Cour de justice, même si certaines réponses devront être précisées par la juridiction de renvoi.

Elle indique qu’il s’agissait bien de concessions et non de marchés publics, alors qu’elle était interrogée sur la directive 2014/24. Ceci dit, cela n’a pas d’incidence puisque les règles sont identiques pour les marchés et les concessions, sauf pour les modifications de faible ampleur en matière de travaux (15 % pour les marchés de travaux dans l’article 72 de la directive 2014/24, 10 % pour les concessions de travaux dans la directive 2014/23).

L’apport principal de l’arrêt est d’indiquer les rapports entre règles de modification et situation in house. En premier lieu, la Cour précise que l’applicabilité des conditions de la modification d’une concession (ou d’un marché) dépend de la perpétuation de la situation in house. Pour la Cour, « si, à la date de la modification d’un contrat de concession, le concessionnaire satisfait aux conditions prévues à l’article 17 de la directive 2014/23, cette modification peut, en tout état de cause, être effectuée sans nouvelle procédure d’attribution et indépendamment des conditions prévues à l’article 43 de cette directive. En revanche, si, à cette date, le concessionnaire ne satisfait plus aux conditions prévues à cet article 17, situation sur laquelle la juridiction de renvoi interroge la Cour, ladite modification ne peut être effectuée sans nouvelle procédure d’attribution que si les conditions prévues à cet article 43 sont respectées » (§ 51 de l’arrêt, l’article 17 précité visant les entités in house). Cette prémisse est justifiée par les considérants qui suivent et qui permettent à la Cour de réfuter certains arguments du requérant qui estimait que les possibilités de modification ne s’appliquaient pas au sens où il y avait lieu de remettre les concessions en concurrence dès lors que la concession initiale n’avait pas été mise en concurrence.

La Cour commence par rappeler que les règles applicables sont celles en vigueur au moment de la modification et non celles applicables au moment de la signature des concessions (CJUE, 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17). Elle indique ensuite qu’aucune disposition de cet article 43 ne permet de répondre à la question de savoir quelles sont les règles applicables à la modification des concessions dans le cas d’une concession initialement attribuées sans concurrence à une entité in house, mais qui intervient à un moment où l’entité concernée n’est plus in house. La solution est donc purement prétorienne. En l’espèce, la société titulaire de la plupart des concessions concernées avait été privatisée en 1998. La Cour rejette à juste titre selon nous l’argument du requérant suivant lequel l’arrêt du 12 mai 2022, Comune di Lerici (C‑719/20) impliquerait une remise en concurrence. Dans cet arrêt, la CJUE a interprété la disposition de l’article 43 paragraphe 1, sous d), comme interdisant le remplacement d’un concessionnaire par une autre entreprise sans remise en concurrence quand le contrat initial a été conclu sans mise en concurrence. Il est vrai que les faits de l’espèce de 2022 étaient similaires à ceux de 2025 puisqu’on était en présence d’un contractant qui avait perdu sa qualité d’entité in house dans l’intervalle. Par analogie, le requérant estimait qu’il fallait également remettre en concurrence ici. Mais pour la Cour, la situation est différente : dans l’affaire de 2022, il y avait nouveau titulaire donc une « nouvelle attribution de la concession » alors que dans l’affaire commentée on était en présence d’une « modification de l’objet (…) qui ne relève donc pas de l’article 43, paragraphe 1, sous d), de la directive 2014/23 ». Elle ajoute même que « exclure du champ d’application de ladite disposition les cas où une concession a été initialement attribuée à une entité in house et où le concessionnaire n’a plus cette qualité à la date de la modification de l’objet de cette concession limiterait la possibilité d’exercer cette marge de manœuvre pour un motif qui ne ressort ni du libellé ni du contexte de la même disposition et qui, dans ces conditions, ne saurait être considéré comme reflétant la volonté du législateur de l’Union ».

Elle consacre ensuite de longs développements pour répondre à l’argument selon lequel une demande d’annulation d’une modification devrait permettre de vérifier si le contrat initial a été régulièrement passé sans publicité ni mise en concurrence. Elle analyse notamment la directive recours et sa logique, pour rejeter l’argument du requérant, au nom de la sécurité juridique : « à cet égard, la fixation de délais de recours raisonnables sous peine de forclusion, tels que ceux établis par le droit national en application de l’article 2 septies de la directive 89/665, vise à faire en sorte, dans l’intérêt de la sécurité juridique, que, après leur expiration, il ne soit plus possible de contester une décision du pouvoir adjudicateur ou de soulever une irrégularité de la procédure d’adjudication. La fixation de ces délais est compatible avec le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective et satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité découlant de la directive 89/665 (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C‑470/99, EU:C:2002:746, points 76 et 79, ainsi que du 11 septembre 2014, Fastweb, C‑19/13, EU:C:2014:2194, point 58) ». Cet arrêt complète donc celui qui avait indiqué qu’il n’y a pas lieu de vérifier, au moment de la modification, si le contractant présente toujours des éléments suffisants de fiabilité (CJUE, 7 novembre 2024, C-683/22, Adusbef, commenté dans la newsletter de novembre).

Le principe de sécurité juridique étant un principe du droit de l’Union européenne, la Cour rappelle qu’il s’oppose à ce que, « dans le cadre d’une procédure de recours d’office enclenchée par une autorité de contrôle pour des motifs de protection des intérêts financiers de l’Union européenne, une nouvelle réglementation nationale prévoie, afin de contrôler la légalité de modifications de contrats de marché public, l’engagement d’une telle procédure dans le délai de forclusion qu’elle fixe, alors même que le délai de forclusion prévu par la réglementation antérieure, qui était applicable à la date de ces modifications, a expiré » (CJUE, 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une autorité européenne peut chercher à récupérer des fonds au motif du non-respect des règles de marchés publics ou de concessions que les autorités nationales peuvent rouvrir des délais de recours à la suite de cette démarche. Mais elle n’en tire pas ici une règle d’interdiction, simplement le fait que rien ne s’impose en la matière : « il s’ensuit que ni l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 ni la directive 89/665 n’imposent aux États membres d’assurer que les juridictions nationales contrôlent, à titre incident et sur demande, la régularité de l’attribution initiale d’une concession à l’occasion d’un recours tendant à l’annulation d’une modification de celle-ci, lorsque ce recours est introduit après l’expiration de tout délai prévu par le droit national en application de l’article 2 septies de la directive 89/665 pour contester cette attribution initiale, par un opérateur faisant preuve d’un intérêt à se voir attribuer la seule partie de cette concession faisant l’objet de cette modification ». On peut donc imaginer que des États membres pourraient prévoir que le contrôle juridictionnel d’une modification peut conduire le juge à contrôler la légalité de l’attribution initiale.

Enfin, la Cour vient préciser deux hypothèses de modification, alors que dans un arrêt précédent elle avait précisé la notion de modification substantielle et le calcul des 10 % (CJUE, 20 mars 2025, Associazione Nazionale Italiana Bingo – Anib, C‑728/22 à C‑730/22, voir la newsletter d’avril 2025). La première concerne les circonstances qu’une autorité diligente ne pouvait prévoir, qui autorise donc une modification sous réserve qu’on ne change pas la nature globale de la concession. La Cour insiste sur ce que ces deux conditions impliquent : « l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 permet une modification portant sur l’extension de l’objet de la concession initiale pour autant que, d’une part, la survenance de circonstances imprévisibles lors de l’attribution de cette concession rende cette modification nécessaire pour préserver l’exécution correcte des obligations découlant de ladite concession et, d’autre part, les travaux ou les services visés par cette extension, compte tenu de leur ampleur ou de leurs spécificités par rapport aux travaux ou aux services ayant fait l’objet de la même concession, n’impliquent pas un changement de la nature globale de cette dernière » : l’incise « pour préserver l’exécution correcte des obligations découlant de ladite concession » est nouvelle et semble impliquer un contrôle renforcé du juge. Lu strictement, cela veut dire que les obligations découlant de la concession ne doivent pas être modifiées. En l’occurrence, il reviendra au juge national de s’assurer que les concessions de service annexes en cause impliquaient bien que les titulaires mettent en œuvre tout moyen permettant aux automobilistes d’assurer l’autonomie de leur automobile. S’il était seulement fait allusion aux « stations-essence » par exemple, cela pourrait conduire le juge à considérer que la modification opérée n’est pas nécessaire pour préserver l’exécution de correction des obligations. Et à supposer qu’il adopte une position inverse, encore faut-il s’assurer qu’il n’y a pas changement de nature globale « compte tenu de leur ampleur ou de leurs spécificités par rapport aux travaux ou services ayant fait l’objet de la même concession ». Il s’agit ici encore d’une incise nouvelle qui conduit à ce qu’il puisse y avoir un changement de nature globale du seul fait d’une ampleur des modifications, alors même qu’il n’y aurait pas changement des spécificités puisque c’est alternatif. C’est particulièrement restrictif ici aussi tant on pourrait admettre qu’une modification par l’ampleur importante entraîne une modification substantielle, mais ne remet jamais en cause la nature globale. On imagine ici qu’il faudra au moins augmenter la valeur de la concession (ou des marchés des entités adjudicatrices, ceux des pouvoirs adjudicateurs étant limités à 50 %) par deux voire trois fois au minimum pour qu’il y ait changement de nature globale.

Si cette hypothèse est donc d’interprétation stricte, que peut-on dire de l’autre hypothèse relative aux travaux ou services devenus nécessaires ? La Cour se borne à juger que « cette juridiction devrait, notamment, vérifier, conformément audit article 43, paragraphe 1, sous b), i) et ii), que les travaux ou les services visés par la modification en cause au principal ne pouvaient pas, d’un point de vue économique et technique, et sans entraîner d’inconvénient majeur ou de multiplication de coûts pour le pouvoir adjudicateur, faire l’objet d’une concession autonome attribuée à la suite d’une procédure de mise en concurrence ». Il conviendra donc de vérifier, à l’avenir, si les modifications envisagées ne peuvent faire l’objet d’une concession autonome. Appliquée aux bornes de recharge électrique, cette sorte de critère d’indissociabilité n’est pas évidente : les concessionnaires de stations-service sont-ils nécessairement les seuls opérateurs à pouvoir gérer ces bornes de recharge électrique ?

L’accident du pont de Gênes a permis de démontrer que, dans des cas tout à fait exceptionnels et dramatiques, la Cour de justice fait preuve de flexibilité (arrêt Adusbef précité), mais qu’elle ne semble pas disposée à le démontrer dans d’autres circonstances.

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public