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CE, 7 juin 2024, n°489404, Communauté d’agglomération Quimper Bretagne occidentale, et n°489425, Société RATP Développement, classé B
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Une méthode d’évaluation attribuant la note correspondant au rang de classement est illégale.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Juin 2024
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 7 juin 2024, n°489404, Communauté d’agglomération Quimper Bretagne occidentale, et n°489425, Société RATP Développement, classé B
Une méthode d’évaluation attribuant la note correspondant au rang de classement est illégale.
► TC, 17 juin 2024, n° C 4302, M. et Mme B. c/ Commune de Changé, classé A, et n° C 4306, Mme R... et M. G... c/ communauté urbaine Le Havre Seine Métropole
Un litige entre l’acquéreur d’un lot vendu par une commune à propos de travaux publics à réaliser par cette commune à l’occasion de cette vente relève du juge judiciaire.
► CE, 12 juin 2024, n°475214, Société Actor France, classé B
Une offre ne peut être regardée comme inacceptable, dans le cas d’un accord-cadre, que si les crédits budgétaires alloués ont été portés à la connaissance des candidats.
► CE, 17 mai 2024, n° 466568, Société SMA Energie, classé A
Le juge saisi d’un recours contestant la validité du contrat peut prononcer la résiliation ou l’annulation des seules clauses irrégulières divisibles ou les écarter s’il est saisi d’un litige relatif à l’exécution du contrat ; la prescription de l’action en restitution ne commence à courir qu’à compter du jour où le juge prononce l’annulation de ce contrat ou d’une clause divisible de ce contrat.
► CE, 7 juin 2024, n° 490468, Société Entreprise Construction Bâtiment, et n°490385, Société Atelier Bois, B
La procédure de réclamation préalable prévue à l’article 50 du CCAG ne saurait être applicable au titulaire se prévalant d’un DGD tacite.Brèves
Décision commentée :
CE, 7 juin 2024, n°489404, Communauté d’agglomération Quimper Bretagne occidentale, et n°489425, Société RATP Développement, classé B
► Consulter le texte de la décisionCommentaire de la décision :
La particularité de cette affaire tient à ce qu’elle a pris place dans le cadre d’une procédure d’attribution d’une concession, en l’occurrence de transport urbain, qui est normalement plus flexible qu’une procédure de passation d’un marché public puisqu’il n’y a, notamment, aucune obligation de pondération des critères. Mais comme le rappelle indirectement le Conseil d’Etat et plus directement son rapporteur public, dès lors que l’autorité concédante s’est volontairement soumise à une procédure plus contraignante, elle est tenue de la respecter et le juge est alors tenu d’en apprécier la légalité. Il faut toutefois préciser que cette application de l’adage « tu paterem legem quam ipse fescisti » n’a traditionnellement de portée juridique que si cette procédure « spontanée » est annoncée aux candidats, en application de l’idée de la confiance légitime, même si le Conseil d’Etat refuse de se référer à ce principe en dehors du champ du droit de l’Union européenne (CE, Ass. 24 mars 2006, Société KPMG). Ainsi en est-il décidé depuis longtemps lorsqu’une personne publique fait le choix de suivre une procédure de mise en concurrence alors qu’elle n’y était pas obligée. En l’espèce, la méthode d’évaluation était intégrée au règlement de consultation. Mais il est vrai que, même si elle n’avait pas été annoncée, le juge aurait quand même procédé à son analyse juridique dès lors qu’elle peut avoir une incidence sur le choix de l’attributaire, comme il le fait en droit des marchés publics. Quant à la pondération, elle avait aussi été mise en place alors que le Code de la commande publique rend obligatoire la hiérarchisation. Mais il n’y a pas d’illégalité à un tel choix dès lors que l’obligation de hiérarchisation doit être opposée ici à une absence de hiérarchisation et que la pondération est une forme de hiérarchisation. Au passage, il est parfois indiqué que cela a déjà été jugé par un arrêt du Conseil d’Etat mais celui-ci se borne à rejeter la prétendue obligation d’indiquer la pondération des sous-critères (CE9 juin 2020, Métropole Nice Côte d’Azur, n°436922, 436925, 436926, T. pp. 826-843).
L’intérêt de l’arrêt transpire également de la nouvelle illustration du contrôle que le juge administratif exerce sur les méthodes d’évaluation (ou de notation) mises en place pour les autorités contractantes, méthodes qui ne sont d’ailleurs pas prévues par les textes et que le juge administratif ne soumet pas au principe de transparence (CE 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, n° 334279, classé B). En revanche, les requérants peuvent lui demander de vérifier qu’elles ne sont pas illégales, ce qui peut d’ailleurs pousser à déclencher un référé précontractuel pour ce seul motif. Dans ce cadre, même s’il n’utilise pas l’expression, l’intensité du contrôle juridictionnel s’apparente à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation puisque le principe reste celui de la liberté de choix de la méthode d’évaluation, comme cela existe en droit des marchés publics et comme cela est ici appliqué en droit des concessions : « L’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison ». Ainsi, il n’est pas exigé l’application d’une méthode conduisant à une parfaite proportionnalité puisqu’il est admis une méthode conduisant à l’attribution automatique, pour un critère, de la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre sur ce critère (CE 15 février 2013, Société SFR, n° 363854, classé B).
Mais à ce principe, le Conseil d’Etat apporte trois exceptions, rappelée ici : « Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie ». Il faut avouer qu’il y a quelque chose de contre intuitif dans la formule finale, l’offre présentant le meilleur avantage n’étant pas connue tant qu’on n’a pas appliqué la méthode d’évaluation, à moins de considérer que la meilleure offre est celle qui résulterait d’une absence d’application d’une quelconque méthode d’évaluation. Quoiqu’il en soit, on comprend la logique du triple contrôle auquel procède le juge : vérifier le lien de la méthode avec les critères, s’assurer qu’elle ne prive pas de leur portée ces critères ou qu’elle ne conduit pas à neutraliser leur hiérarchisation (ou leur pondération peut-on ajouter, même si la pondération peut être perçue comme une hiérarchisation chiffrée). La jurisprudence a déjà illustré le deuxième et le troisième élément du contrôle : ainsi, la méthode est irrégulière lorsqu’elle prévoit non seulement l’attribution de la note maximale à la meilleure offre mais aussi celle de la note minimale à la moins bonne, de sorte que cette offre se retrouve automatiquement éliminée quelle que soit ses notes sur les autres critères, si un critère reçoit une pondération importante (CE 24 mai 2017, Ministre de la Défense c/ Société Techno Logistique, n°405787, classé B), ou si elle ne permet pas de tenir compte de la grande disparité des valeurs des différents lots (CE 1er juillet 2015, Société nouvelle d’entreprise générale du Sud-Ouest, n° 381095, classé B), ou si elle laisse aux candidats le soin de fixer, pour l'un des critères ou sous-critères, la note qu'ils estiment devoir leur être attribuée (CE 22 novembre 2019, n° 418460 et 418461, Société Autocars Faure et Société Cars Annequin). De même, est illégale une méthode prévoyant que chaque offre « serait notée en fonction de son prix (P) et du prix de l'offre la plus basse (P0) selon la formule : 10/3 x (7 - P/P0) car elle avait pour effet de neutraliser les écarts entre les prix de sorte que les offres ne pouvaient être différenciées qu'au regard des autres critères de sélection » (CE 3 nov. 2014, n° 373362, Commune de Belleville-sur-Loire), la méthode qui, pour noter le critère du prix, « avait pour effet d'attribuer la note la plus faible au candidat ayant présenté le prix le plus éloigné de l'estimation du coût de la prestation opérée par le maître d'œuvre, que ce prix soit inférieur ou supérieur à l'estimation, et, ainsi, avait eu pour conséquence d'attribuer la note maximale à la société déclarée attributaire du marché, alors même que sa proposition de prix était supérieure à celle de la requérante » (CE 29 oct. 2013, n° 370789, OPH Val d'Oise Habitat), une méthode conduisant à attribuer des notes négatives puisque remettant en cause la pondération (CE 18 décembre 2012, n°362532, Département de Guadeloupe) ou une méthode de notation consistant à additionner l’ensemble des prix unitaires sans leur appliquer une pondération tenant compte de leur valeur respective, même approximative (CE 13 novembre 2020, n° 439525, Commune de Perpignan, à propos d’un accord cadre de prestations juridiques pour lesquelles chaque offre pour chaque type de prestation était notée sans tenir compter de la proportion approximative des types de prestation à venir – questions simples, questions complexes, réunions, médiations).
Aussi, on comprend qu’en l’espèce la méthode choisie, consistant à attribuer autant de points que les offres sont classées et à désigner attributaire celui qui a le moins de points, ne soit pas considérée, en quelque sorte, comme suffisamment proportionnelle. Pour le Conseil d’Etat, « le classement ne reflète que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres ». Comme l’indiquait le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, un tel classement sommaire peut conduire à ce que des offres très proches peuvent conduire à des notes très éloignées ou, à l’inverse, à ce que des offres très éloignées n’auront en réalité qu’un point d’écart.
L’autre question qu’avait à trancher le juge du référé précontractuel concernait la question de la lésion de cette illégalité sur le requérant. C’est d’ailleurs pour ne pas avoir fait ce travail de manière suffisamment approfondie que l’ordonnance du tribunal administratif a été annulée : « En se fondant, pour accueillir le recours des sociétés Keolis et Transdev, sur ce que ces sociétés avaient nécessairement été lésées par un tel manquement, sans rechercher si, eu égard aux appréciations portées par cette autorité sur leurs offres, ces sociétés n’étaient pas, en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux, le juge des référés a commis une erreur de droit et a ainsi méconnu son office ». Evoquant donc l’affaire, il juge logiquement que, pour les deux requérants, « dès lors que les offres de ces deux sociétés étaient mieux classées, sur l’un au moins des critères d’appréciation, que celle de la société RATP Développement retenue par l’autorité concédante, l’utilisation de cette méthode d’évaluation est susceptible de les avoir lésées ».
Il restait enfin à déterminer les conséquences de cette illégalité, c’est-à-dire à préciser à quel stade la procédure de passation pouvait être reprise. Cette fois, le fait que la méthode d’évaluation a été annoncée aux candidats dans le règlement de consultation joue un rôle. Pour le rapporteur public, suivi par le Conseil d’Etat, il faut annuler la procédure dans son ensemble : « … nous sommes d’avis que la méthode d’évaluation que la communauté d’agglomération avait fait figurer dans le règlement de la consultation est bien susceptible d’avoir influé sur le contenu des offres. En premier lieu, il nous paraît difficile d’affirmer le contraire alors que, comme nous vous l’avons dit, cette méthode est susceptible, au moins en partie, de priver de portée les critères de sélection ou de neutraliser leur hiérarchisation et que les offres des candidats, bien sûr, sont construites en fonction de ces critères et de leur importance respective. En second lieu, il nous semble que cette méthode, de par sa construction, peut avoir une influence sur la stratégie adoptée par les candidats pour élaborer leurs offres. En effet, dès lors que cette méthode ne reflète aucunement les écarts de valeur intrinsèque entre les offres, un candidat n’a aucun intérêt, sur un critère, à tenter de « creuser l’écart » avec ses concurrents, surtout s’il pense être bien classé sur ce critère. En d’autres termes, cette méthode dissuade un candidat d’essayer de compenser les points faibles de son offre en l’améliorant encore sur les points où il pense qu’elle est déjà bonne ; elle condamne par avance toute stratégie consistant à « jouer sur ses points forts ».
On peut toutefois se demander si tel devait être le cas car les méthodes d’évaluation n’ont généralement d’utilité que pour apprécier les offres les unes par rapport aux autres. Or, par principe, les candidats ne sont pas censés connaître les offres des autres candidats et ne peuvent donc adapter leur offre à cette aune. On ne voit pas pourquoi le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas reprendre la procédure au stade de l’examen des offres après avoir choisi une nouvelle méthode d’évaluation, qu’elle soit communiquée ou non. Le fait même qu’elle n’ait pas à être communiquée prouve d’ailleurs qu’elle ne saurait avoir d’incidence sur la manière donc elles sont bâties.
Professeur agrégé en droit public