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CE, 17 mai 2024, n° 466568, Société SMA Energie, classé A

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Le juge saisi d’un recours contestant la validité du contrat peut prononcer la résiliation ou l’annulation des seules clauses irrégulières divisibles ou les écarter s’il est saisi d’un litige relatif à l’exécution du contrat ; la prescription de l’action en restitution ne commence à courir qu’à compter du jour où le juge prononce l’annulation de ce contrat ou d’une clause divisible de ce contrat.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Juin 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 7 juin 2024, n°489404, Communauté d’agglomération Quimper Bretagne occidentale, et n°489425, Société RATP Développement, classé B
Une méthode d’évaluation attribuant la note correspondant au rang de classement est illégale.


TC, 17 juin 2024, n° C 4302, M. et Mme B. c/ Commune de Changé, classé A, et n° C 4306, Mme R... et M. G... c/ communauté urbaine Le Havre Seine Métropole
Un litige entre l’acquéreur d’un lot vendu par une commune à propos de travaux publics à réaliser par cette commune à l’occasion de cette vente relève du juge judiciaire.


CE, 12 juin 2024, n°475214, Société Actor France, classé B
Une offre ne peut être regardée comme inacceptable, dans le cas d’un accord-cadre, que si les crédits budgétaires alloués ont été portés à la connaissance des candidats.


CE, 17 mai 2024, n° 466568, Société SMA Energie, classé A
Le juge saisi d’un recours contestant la validité du contrat peut prononcer la résiliation ou l’annulation des seules clauses irrégulières divisibles ou les écarter s’il est saisi d’un litige relatif à l’exécution du contrat ; la prescription de l’action en restitution ne commence à courir qu’à compter du jour où le juge prononce l’annulation de ce contrat ou d’une clause divisible de ce contrat.


CE, 7 juin 2024, n° 490468, Société Entreprise Construction Bâtiment, et n°490385, Société Atelier Bois, B
La procédure de réclamation préalable prévue à l’article 50 du CCAG ne saurait être applicable au titulaire se prévalant d’un DGD tacite.

 

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Décision commentée :

CE, 17 mai 2024, n° 466568, Société SMA Energie, classé A

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Commentaire de la décision:

 

 Cet arrêt vient préciser deux jurisprudences plus ou moins connues.

La première est la célèbre jurisprudence Béziers I (CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, p. 509) qui comporte deux volets : le recours en contestation de validité du contrat déclenché par une partie à ce contrat, et l’exception d’illégalité du contrat soulevée par une partie à l’occasion d’un litige portant sur l’exécution. Le Conseil d’Etat avait pu préciser dans un arrêt Communauté de communes du Queyras (CE 4 mai 2011, n° 340089, p. 200) que, s’agissant des clauses divisibles, elles pouvaient être écartées lorsqu’est en cause une exception d’illégalité à l’occasion d’un litige portant sur l’exécution. Autrement dit, le juge n’est pas alors obligé d’écarter tout le contrat et il peut donc continuer à régler le litige sur le terrain contractuel pour le surplus. L’arrêt commenté va plus loin en ce qu’il autorise le juge à résilier voire à annuler les clauses divisibles : « Dans le cas où l’irrégularité constatée n’affecte que des clauses divisibles du contrat, le juge, saisi d’un recours contestant la validité du contrat, peut prononcer, s’il y a lieu, la résiliation ou l’annulation de ces seules clauses ». Rien n’est dit de ce qui pourraient justifier l’annulation plutôt que la résiliation des clauses divisibles. On peut en avoir une idée à travers l’exemple de la clause en question qui a pu être annulée par la CAA : « Ainsi qu’il a été dit au point 4, les parties à un contrat d’achat d’électricité comme celui en cause dans le présent litige ne peuvent contractuellement déroger aux tarifs d’achat fixés par l’arrêté interministériel, pris sur le fondement du décret du 10 mai 2001, correspondant à la filière de production électrique concernée. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a jugé que les stipulations de l’article 5 du contrat conclu entre les sociétés SMA Energie et EDF revêtaient ainsi un caractère illicite en tant qu’elles prévoient le versement de la prime à la méthanisation, qui ne pouvait être légalement versée en l’espèce en application de l’arrêté du 10 juillet 2006. Par des motifs non contestés en cassation, la cour a retenu que cette clause était divisible des autres stipulations du contrat et a entendu prononcer son annulation. En statuant ainsi, la cour, qui a nécessairement jugé qu’il ne pouvait être fait application de cette clause contractuelle, n’a pas commis d’erreur de droit ni insuffisamment motivé son arrêt ». Il s’agissait d’une violation manifeste du tarif réglementé d’achat d’électricité.

L’autre apport de l’arrêt concerne le point de départ d’une action en restitution, qui peut accompagner une demande d’annulation. Cette action en restitution, qui accompagne la demande d’annulation du contrat, a été admise lorsque la personne publique est victime d’une entente illicite, y compris à l’égard des contrats entièrement exécuté (CE 10 juillet 2020, Société Lacroix signalisation, n°420045).

Pour le Conseil d’Etat, « aux termes de l’article 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En jugeant que l’action en restitution intentée par la société EDF n’était pas prescrite, au motif que celle-ci devait être regardée comme ignorant légitimement l’existence de sa créance jusqu’au jour où le juge du contrat prononce, dans l’exercice de son office rappelé aux points 6 et 7, l’annulation de la clause litigieuse, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ».

On voit qu’il considère comme quasi acquis l’application du Code civil sur les règles de prescription, la réforme de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 2008 ayant, par erreur, ôté la référence aux personnes publiques qui existait dans le Code civil avant 2008. Mais il arrive au Conseil d’Etat ne pas suivre ces règles, à l’image de la prescription de la demande d’annulation d’un contrat administratif qui court au moins pendant toute la durée du contrat (CE Sect. 1er juillet 2019, Musée de Saint-Pierre et Miquelon, n°412243). Il semble donc qu’il faille combiner cet arrêt avec celui commenté, dont la précision relative à la prescription ne concerne que l’action en restitution et non l’action en annulation.  

Cet arrêt est à mettre en relief avec la possibilité qui est reconnue aux personnes publiques de résilier leur contrat pour illégalité (CE 10 juillet 2020, Société Comptoir Négoce équipement, n° 430864), d’écarter une clause illégale et divisible (CE 13 juin 2022, Centre hospitalier d’Ajaccio, n°453769) ou de la modifier (CE 8 mars 2023, SIPPEREC, n°464619). Il reste que, pour la personne publique, il peut être plus intéressant d’aller devant le juge car il n’a jamais été admis, contrairement au droit polonais, qu’un contrat puisse être annulé par la personne publique elle-même et pas seulement résilié.