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CE, 31 octobre 2024, Société Bureau Veritas Construction, 488920, classé B
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
L’assurance dommages ouvrage garantit le paiement des réparations des désordres de gravité décennale réservés ou apparus pendant la garantie de parfait achèvement.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2024
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 31 octobre 2024, Société Routière de Haute-Corse, Société Corse Travaux, 491280, classé B
Le point de départ du délai de trois mois au-delà duquel le prix doit être actualisé court à compter de la date de remise de l’offre finale en cas de négociation sur le prix.
► CE, 31 octobre 2024, Métropole Aix-Marseille Provence, 490242, classé B et CJUE, 6 juin 2024, INGSTEEL spol. s.r.o., C-547/22
Les conditions d’indemnisation du concurrent irrégulièrement évincé précisées… et remises en cause.
► CE, 31 octobre 2024, Commune de Fontainebleau, 487995, classé B
La part non amortie des droits d’entrée ou des redevances peut être remboursée sous conditions en cas de résiliation d’un affermage.
► CJUE, 7 novembre 2024, Adusbef, C-683/22
La modification des concessions interprétée de manière libérale.
► CE, 31 octobre 2024, Société Bureau Veritas Construction, 488920, classé B
L’assurance dommages ouvrage garantit le paiement des réparations des désordres de gravité décennale réservés ou apparus pendant la garantie de parfait achèvement.Brèves
Décision commentée :
CE, 31 octobre 2024, n°488920, Société Bureau Veritas Construction, classé B
► Consulter le texte de la décision.Commentaire de la décision :
La question était posée, car le requérant contestait la subrogation de l’assureur au maître d’ouvrage public qu’elle avait assuré au titre de la garantie « dommages-ouvrage » : selon lui, le contrat d’assurance ne garantissait que les dommages de nature décennale alors que la CAA avait retenu, dans le même temps, que les désordres indemnisés avaient fait l’objet de réserves à la réception et relevaient donc de la seule responsabilité contractuelle des constructeurs.
Effectivement, l’assureur n’est fondé à se prévaloir d’une subrogation légale dans les droits de son assuré que si l’indemnité a été versée en exécution d’un contrat d’assurance (CE, 22 octobre 2014, Société des transports de l’agglomération de Montpellier et autres, n° 362635, 362636, B). À défaut, seule une subrogation conventionnelle, qui nécessite le consentement exprès de l’assuré, permettrait à la subrogation d’être recevable (Code civil, art. 1346-1).
Or le pourvoi estimait plus précisément, d’après les conclusions Marc Pichon de Vendeuil, que l’assurance dommages-ouvrage exclut la réparation des dommages dont la gravité est de nature décennale, mais auxquels, en revanche, la garantie décennale ne trouve pas à s’appliquer, faute que soient respectées les autres conditions de mise en œuvre de cette garantie. Il est vrai que l’article L. 242-1 du Code des assurances vise « les dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du Code civil » qui concerne la garantie décennale. Mais ce n’est pas ce qu’estiment le Conseil d’État et son rapporteur public. Pour le rapporteur public :
« non seulement cela ne nous semble pas être l’esprit des dispositions du code des assurances – qui, nous semble-t-il, visent plutôt à ce que l’assureur dommages-ouvrage puisse financer sans délais excessifs la réparation des dommages les plus graves, de façon à ce que le maître d’ouvrage ne se retrouve pas bloqué par l’incurie des constructeurs – mais, au contraire, cette interprétation serait partiellement contradictoire avec leur lettre, ainsi que l’ont d’ailleurs déjà jugé vos homologues de la Cour de cassation, dans les pas desquels nous allons vous proposer de vous inscrire ».
Il est vrai que les huitième, neuvième et dixième alinéas de l’article L. 242-1 du Code des assurances prévoient que si l’assurance dommages-ouvrage prend normalement effet après l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement, elle peut jouer soit dès avant la réception de l’ouvrage, en cas de résiliation du contrat de louage d’ouvrage pour inexécution et après mise en demeure infructueuse de l’entrepreneur d’exécuter les travaux de reprise, soit après la réception, lorsque l’entrepreneur n’a pas exécuté ses obligations après une mise en demeure restée infructueuse. La Cour de cassation en a déduit que l’assurance de dommages obligatoire garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l’entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de « gravité décennale » (expression reprise pour la première fois ici par le Conseil d’État), réservés à la réception ou apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement, n’a pas exécuté ses obligations (3ème Civ., 1er avril 2021, n° 19-16.179, Bull. III ; 30 novembre 2022, n° 21-17.161).
Pour le Conseil d’État, il résulte de l’article L. 242-1 du Code des assurances que l’assurance dommages ouvrage garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l’entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de gravité décennale, réservés à la réception ou apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement, n’a pas exécuté ses obligations. Par suite :
« la seule circonstance que les désordres aient fait l’objet de réserves lors de la réception des travaux, ce qui a pour effet de maintenir l’obligation contractuelle des constructeurs d’y remédier, ne fait pas obstacle à ce que l’assureur verse, en exécution de l’assurance dommages ouvrage, à son assuré une indemnité correspondant au coût des réparations nécessaires ».
Voici donc une solution conforme à la jurisprudence civile et logique, faute de raison pour le Conseil d’État d’y déroger, mais qui va avoir une incidence sur la pratique tant il semble que les assureurs s’opposaient à une telle interprétation sur le terrain.
Professeur agrégé en droit public