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CE, 31 octobre 2024, Métropole Aix-Marseille Provence, 490242, classé B et CJUE, 6 juin 2024, INGSTEEL spol. s.r.o., C-547/22
Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Les conditions d’indemnisation du concurrent irrégulièrement évincé précisées… et remises en cause.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Novembre 2024
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 31 octobre 2024, Société Routière de Haute-Corse, Société Corse Travaux, 491280, classé B
Le point de départ du délai de trois mois au-delà duquel le prix doit être actualisé court à compter de la date de remise de l’offre finale en cas de négociation sur le prix.
► CE, 31 octobre 2024, Métropole Aix-Marseille Provence, 490242, classé B et CJUE, 6 juin 2024, INGSTEEL spol. s.r.o., C-547/22
Les conditions d’indemnisation du concurrent irrégulièrement évincé précisées… et remises en cause.
► CE, 31 octobre 2024, Commune de Fontainebleau, 487995, classé B
La part non amortie des droits d’entrée ou des redevances peut être remboursée sous conditions en cas de résiliation d’un affermage.
► CJUE, 7 novembre 2024, Adusbef, C-683/22
La modification des concessions interprétée de manière libérale.
► CE, 31 octobre 2024, Société Bureau Veritas Construction, 488920, classé B
L’assurance dommages ouvrage garantit le paiement des réparations des désordres de gravité décennale réservés ou apparus pendant la garantie de parfait achèvement.Brèves
Décision commentée :
CE, 31 octobre 2024, Métropole Aix-Marseille Provence, 490242, classé B et CJUE, 6 juin 2024, INGSTEEL spol. s.r.o., C-547/22
► Consulter le texte de la décision du CE.► Consulter le texte de la décision de la CJUE.
Commentaire de la décision :
Avant de se pencher sur la question indemnitaire, le Conseil d’État a ici jugé que c’est sans dénaturation que la CAA de Marseille avait estimé que la Métropole s’était fondée sur le motif d’un conflit d’intérêts et non sur celui d’influence indue. Au passage, le prétendu conflit d’intérêts provenait, d’après les conclusions de Marc Pichon de Vendeuil, de ce que la métropole s’était constituée partie civile dans un litige pénal impliquant le groupe auquel appartenait la société Vautubière, ce qui n’est évidemment pas un motif d’exclusion légal.
En revanche, le juge de cassation annule l’arrêt d’appel sur la question indemnitaire pour erreur de droit. La CAA avait estimé en effet que la prise en compte des coûts fixes dans le calcul du manque à gagner est subordonnée à l’existence de frais supplémentaires induits par l’obtention du marché.
Pour le Conseil d’État :
« Le manque à gagner d’une entreprise candidate à l’attribution d’un contrat public, évincée à l'issue d'une procédure irrégulière, est évalué par la soustraction du total du chiffre d’affaires non réalisé de l’ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes qui aurait été affectée à l’exécution du marché si elle en avait été titulaire ».
En conséquence, il appartenait à la Cour de soustraire la part des coûts fixes de la société SMA Vautubière qui aurait été affectée à l’exécution du marché si elle en avait été titulaire. Les conclusions donnent un exemple intéressant de la manière de calculer cette quote-part :
« des frais relatifs à l’équipement informatique ou aux loyers de l’entreprise : ceux-ci n’auraient sans doute pas varié si le contrat litigieux avait été exécuté par la SMA Vautubière, mais il n’est guère douteux que ces dépenses d’ordre général auraient, au moins pour partie, été mises en œuvre pour la gestion du marché : une quote-part de ces dépenses (a priori proportionnelle à ce que le marché aurait représenté dans le chiffre d’affaires global de l’entreprise) devrait donc être retenue pour apprécier le bénéfice net putatif de la société au titre du marché qu’elle aurait dû obtenir et/ou exécuter ».
Cette solution est justifiée par le rapporteur public par plusieurs arguments. La jurisprudence estime depuis 2010 que le manque à gagner équivaut au « bénéfice net » (CE, 8 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075, p. 14), ce qui implique de déduire la part des charges variables, mais aussi une part des charges fixes (CE, 10 octobre 2018, Société du docteur Jacques Franc, n° 410501, T. p. 773). Le parallèle est fait, par un raisonnement en miroir, avec les « dépenses utiles » indemnisées sur le terrain de l’enrichissement sans cause : la quote-part des frais généraux qui contribue à l’exécution du marché fait l’objet d’un remboursement au titulaire du contrat puisqu’elles ont été utiles à la personne publique (CE, 17 juin 2022, Société Lacroix City Saint-Herblain, n° 454189, B).
L’arrêt commenté est toutefois muet sur les raisons qui ont poussé le tribunal puis la cour a considéré que le requérant aurait eu une chance sérieuse d’emporter le marché s’il n’avait pas été irrégulièrement exclu. Ceci nous donne l’occasion de commenter un arrêt de la CJUE qui semble bien remettre en cause le système jurisprudentiel français d’indemnisation des concurrents irrégulièrement évincés d’un marché public ou d’une concession. Dans cette affaire slovaque, la Cour a certes rappelé le principe d’autonomie procédurale, en particulier dans le contexte de la directive recours qui ne prévoit que le principe d’indemnisation des concurrents irrégulièrement évincés sans autres précisions. Ainsi, ce principe implique, les États membres sont libres de fixer les critères sur la base desquels le dommage résultant d’une violation du droit de l’Union en matière de passation des marchés publics doit être constaté et évalué. Néanmoins, il leur appartient de le faire dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (CJCE, 9 décembre 2010, Combinatie Spijker Infrabouw, C-568/08). Dans l’arrêt Ingsteel, cela se traduit par la nécessité de distinguer le manque à gagner, c’est-à-dire la perte de profit du fait de la « non-obtention » du marché en cause, et le préjudice procédant de l’« opportunité perdue de participer à la procédure de passation concernée », qui peut être à l’origine d’un « préjudice distinct » (point 39 de l’arrêt). Il est vrai que la suite de l’arrêt n’est pas dénuée d’ambiguïté :
« Il convient, toutefois, de relever que, si cet article 2, paragraphe 1, sous c), impose que des dommages et intérêts puissent être accordés aux personnes lésées par une violation du droit de l’Union en matière de marchés publics, il appartient, en l’absence de dispositions de l’Union en ce domaine, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les critères sur la base desquels le dommage résultant de la perte d’une chance de participer à une procédure de passation d’un marché public en vue d’obtenir ce dernier doit être constaté et évalué, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés » (point 45).
Mais la référence au préjudice distinct est de nature à remettre en cause la dichotomie française entre candidats non dépourvus de toute chance d’obtenir le marché, qui a droit à l’indemnisation de ses frais de candidature, et le candidat qui disposait d’une chance sérieuse, qui a droit à l’indemnisation du manque à gagner (CE, 18 juin 2003, ETPO Guadeloupe, n° 249630, Lebon T., p. 865), ou du moins à la compléter. Il devrait donc désormais y avoir également indemnisation pour l’opportunité perdue de participer à une procédure de passation qui sera probablement d’un montant inférieur au manque à gagner, mais supérieur à l’indemnisation des frais de candidature et qui interviendra alors sans doute alternativement aux deux autres hypothèses. La manière de calculer ce préjudice n’est pas déterminée par la cour. On pourrait imaginer par exemple que, dans le cas d’une entreprise qui a été illégalement privée de participer à une procédure où trois autres candidats ont été admis, la probabilité d’emporter le marché était de 1 sur 4 si elle avait été admise à participer ; à ce titre, elle pourrait alors prétendre à 25 % de la marge bénéficiaire.
Professeur agrégé en droit public