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TUE, 20 mars 2024, T‑640/22,Westpole Belgium

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Il n’y pas d’offre anormalement basse dès lors que l’offre en cause respecte la législation sur les salaires minimums et l’on n’a pas à exclure une entreprise ayant pris part à une entente qui a pris des mesures correctrices insuffisantes dans certaines circonstances.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Mai 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, Avis 11 avril 2024, n°489440, Région Nouvelle-Aquitaine, classé B
Les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs faute d’influence publique.


CE, 24 avril 2024, n°472038, Commune de la Chapelle d’abondance, classé A
Le concurrent irrégulièrement évincé peut être indemnisé, sous conditions, du manque à gagner en cas de résiliation unilatérale du contrat dont il a été privé.


CE, 10 avril 2024, n°482722, Commune de Gignac, classé C
Il n’y a pas de faute d’une personne publique à avoir choisi une entreprise qui a pu causer un retard de chantier préjudiciable à une autre entreprise.


TUE, 20 mars 2024, T‑640/22, Westpole Belgium
Il n’y pas d’offre anormalement basse dès lors que l’offre en cause respecte la législation sur les salaires minimums et l’on n’a pas à exclure une entreprise ayant pris part à une entente qui a pris des mesures correctrices insuffisantes dans certaines circonstances.


CE, 5 avril 2024, n°489280, Société VOLKL GMBH & CO KG, classé C
L’introduction d’un second référé contractuel ayant le même objet qu’un premier référé contractuel prive d’objet le pourvoi en cassation contre l’ordonnance portant sur le premier référé contractuel.

 

Brèves

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Décision commentée :
 

TUE, 20 mars 2024, T‑640/22, Westpole Belgium

► Consulter le texte de la décision.
 

Commentaire de la décision :


Cette affaire concerne l’application du règlement financier 2018/1046, applicable au Parlement européen pour ses propres marchés, dans la passation d’un marché de prestation de service mais, en l’espèce, les règles sont identiques à celles des directives européennes marchés publics.

Le requérant contestait notamment la décision de ne pas écarter une offre au motif que celle-ci aurait été anormalement basse. Il estimait en particulier, selon le tribunal, que :

« Le prix de l’offre du consortium classée au premier rang serait d’autant plus anormal que les marges se seraient érodées au fil du temps du fait des reports de la période de validité des offres. La requérante soutient également qu’il ressort de son estimation des différentes composantes de l’offre du consortium classée au premier rang que certains résultats sont « aberrants ». Pour arriver au prix proposé, il faudrait ainsi avoir un coût de 30 euros par heure pour un « chef de projet senior sur site » ou de 80 euros par heure pour un « architecte de solution senior sur site » dans la zone Bruxelles/Luxembourg/Strasbourg. La requérante allègue aussi que l’entité concernée a été écartée, vraisemblablement pour offre anormalement basse, de deux autres lots du marché public en cause. De la même manière, l’entité concernée aurait aussi dû être écartée pour l’attribution du lot litigieux ».


Pour le tribunal :

« Il ressort de la lettre adressée à la requérante le 12 octobre 2022 ainsi que des informations transmises à cet égard par le Parlement dans ses écritures que, tout comme pour le consortium dont la requérante fait partie, le consortium dont l’offre était classée au premier rang a apporté des précisions quant à son infrastructure, son expertise et les outils dont il dispose déjà à la suite de l’exécution d’autres contrats du même type, la détermination de la marge, le respect des salaires minimaux, la méthodologie du calcul et les détails chiffrés relatifs aux coûts directs et indirects, la stratégie de soumission, le partage des risques, l’organisation des services off-site ».


La suite est encore plus intéressante pour justifier qu’un taux horaire, apparemment bas au regard des expertises demandées, peut résulter de la nature du marché – service – et des effets de la mise en concurrence dans les marchés publics :

« il y a lieu, à cet égard, de rappeler que la jurisprudence reconnaît que les coûts des différents opérateurs économiques peuvent fortement varier, pour un même service ou pour un même travail, en fonction de circonstances qui leur sont propres (voir arrêt du 13 juin 2019, Strabag Belgium/Parlement, T‑299/18, non publié, EU:T:2019:411, point 90 et jurisprudence citée). Ainsi, contrairement aux travaux ou aux biens, les soumissionnaires ont plus d’influence sur les éléments constituant le prix de services. Partant, des écarts constatés dans une procédure de mise en concurrence entre ces prix ne seront pas nécessairement de nature à soulever des doutes quant à la fiabilité des offres ni à démontrer le caractère anormalement bas d’une des offres (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2019, Strabag Belgium/Parlement, T‑299/18, non publié, EU:T:2019:411, point 92). En effet, l’un des objectifs du système de passation de marchés publics est d’obtenir les meilleures conditions aux meilleurs prix possibles. Il est donc inhérent au système de passation de marchés sur la base de l’offre économiquement la plus avantageuse que les soumissionnaires s’efforcent de proposer les prix les plus compétitifs possibles (arrêt du 15 septembre 2016, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑698/14, non publié, EU:T:2016:476, point 66) ».

 
En somme, il suffit de respecter la législation sur le salaire minimum pour que l’offre ne soit pas considérée comme anormale.
 
Un autre aspect intéressant de l’affaire concerne la décision de ne pas exclure le candidat qui a été classé premier alors même qu’il avait participé à une entente. Pour le tribunal, il ressort de la lettre de notification de la décision à l’entité concernée ainsi que de la décision en tant que telle transmise par le Parlement en réponse à une mesure d’organisation de la procédure que le Parlement a décidé de ne pas exclure l’entité concernée après avoir estimé que les mesures correctrices n’étaient pas suffisantes. Les éléments pris en considération pour arriver à une telle conclusion étaient les suivants :
 
–        les mesures correctrices précitées ;
 
–        l’absence de préjudice financier réel pour l’Union ;
 
–        la responsabilité relativement limitée de l’entité concernée dans la structure de l’entente, comme cela a été reconnu dans la décision de la CNMC ;
 
–        la divulgation de la situation potentielle d’exclusion au pouvoir adjudicateur par le biais de la déclaration sur l’honneur ;
 
–        la coopération subséquente avec le pouvoir adjudicateur ;
 
–        les promptes réponses à toutes les demandes d’information.
 
Le tribunal conclut « Il y a également lieu de relever que la requérante n’établit pas en quoi l’analyse effectuée par le Parlement ne respecte pas le principe de proportionnalité, alors que cette analyse évoque précisément différents éléments pour permettre de comprendre pour quelles raisons, le Parlement considère approprié de ne pas exclure l’entité concernée en raison de la décision de la CNMC ».

En somme, c’est l’application du principe de proportionnalité qui a pu fonder la décision de non exclusion.

Pour rappel, opéré d’ailleurs par le tribunal, « cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient de nature à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 165 et jurisprudence citée). ».
 
Il conviendra donc à l’avenir de prendre cela en considération lorsqu’il s’agira d’appliquer le motif d’exclusion lié aux ententes visé à l’article L. 2141-9 du CCP (« L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes à l'égard desquelles il dispose d'éléments suffisamment probants ou constituant un faisceau d'indices graves, sérieux et concordants pour en déduire qu'elles ont conclu une entente avec d'autres opérateurs économiques en vue de fausser la concurrence »), s’agissant des mesures correctrices et de leur éventuelles insuffisances.

 
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public