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CE, Avis, 11 avril 2024, n°489440, Région Nouvelle-Aquitaine, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs faute d’influence publique.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Mai 2024

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, Avis 11 avril 2024, n°489440, Région Nouvelle-Aquitaine, classé B
Les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs faute d’influence publique.


CE, 24 avril 2024, n°472038, Commune de la Chapelle d’abondance, classé A
Le concurrent irrégulièrement évincé peut être indemnisé, sous conditions, du manque à gagner en cas de résiliation unilatérale du contrat dont il a été privé.


CE, 10 avril 2024, n°482722, Commune de Gignac, classé C
Il n’y a pas de faute d’une personne publique à avoir choisi une entreprise qui a pu causer un retard de chantier préjudiciable à une autre entreprise.


TUE, 20 mars 2024, T‑640/22, Westpole Belgium
Il n’y pas d’offre anormalement basse dès lors que l’offre en cause respecte la législation sur les salaires minimums et l’on n’a pas à exclure une entreprise ayant pris part à une entente qui a pris des mesures correctrices insuffisantes dans certaines circonstances.


CE, 5 avril 2024, n°489280, Société VOLKL GMBH & CO KG, classé C
L’introduction d’un second référé contractuel ayant le même objet qu’un premier référé contractuel prive d’objet le pourvoi en cassation contre l’ordonnance portant sur le premier référé contractuel.

 

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Décision commentée :
 

CE, Avis 11 avril 2024, n° 489440, Région Nouvelle-Aquitaine, classé B

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Commentaire de la décision :


Avant d’en venir au raisonnement – novateur – s’agissant de l’existence ou non d’un contrôle de gestion de nature à caractériser une influence publique permettant de qualifier un organisme de pouvoir adjudicateur, il est intéressant de se pencher sur les faits ayant conduit le requérant à saisir le juge de première instance et la procédure d’avis contentieux.
 
C’est un refus de subvention européenne, opposé par la Région Nouvelle-Aquitaine, qui a amené un établissement médico-social à saisir la juridiction administrative car il contestait le motif du refus, basé sur l’article 125 du règlement financier (UE) 1303/2013 du 17 décembre 2013 imposant que les produits et services co-financés soient acquis dans le respect des règles de la commande publique. Le tribunal administratif lui donna raison et sur appel, la Cour administrative d’appel a saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis. C’est là que l’aspect procédural présente un intérêt puisque la demande d’avis n’est recevable que si que la question de droit qu’elle soulève se caractérise par sa nouveauté, par sa difficulté sérieuse et par le nombre des litiges qu’elle est susceptible d’induire (art. 113-1 du CJA). Or, comme le souligne le rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil dans ses conclusions, si les deux premières conditions sont ici présentes, la troisième pouvait poser problème, en dépit de l’existence de plus de 40 000 établissements de ce type en France : en effet, compte tenu de leur nature privée, les litiges susceptibles de se nouer en cas de qualification de ces organismes en pouvoir adjudicateur relèverait…des juridictions judiciaires. Mais le rapporteur public proposa de ne pas interpréter cette condition comme visant uniquement les juridictions administratives, et le fait que le Conseil d’Etat ait répondu sur le fond, même négativement, semble aller dans le sens de la confirmation de cette proposition, en l’absence d’un « en tout état de cause ». On peut ajouter que la perspective de la création d’un bloc de compétence au profit des juridictions administratives par le projet de loi dit de simplification déposé au Sénat le 14 avril 2024 renforce l’argument.
 
Sur le fond, le Conseil d’Etat pose, par une formulation générale inspirée de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 3 février 2021, Federazione Italiana Giuoco Calcio (C 155/19 et C-156/19) qu’il prend soin de citer :

« que la gestion d’une personne morale de droit privé est regardée comme soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur lorsqu’une autorité publique exerce un contrôle actif de sa gestion qui, dans les faits, remet en cause son autonomie, au point de permettre à cette autorité d’influencer ses décisions en matière d’attribution de marchés », ce contrôle devant « être de nature à créer une situation de dépendance à l’égard de l’autorité publique (…). En revanche, en principe, un contrôle, a posteriori, de la régularité de l’activité de la personne morale de droit privé par l’autorité publique de tutelle ne s’apparente pas à un contrôle de sa gestion ».


Ces précisions de principe sont importantes car, jusqu’alors, les illustrations jurisprudentielles relevaient de l’évidence, soit qu’il y avait manifestement contrôle de gestion, soit qu’il était manifestement absent. Par exemple, il a été jugé « qu’il apparaît exclu de considérer que le critère du contrôle de la gestion est satisfait dans l'hypothèse d'un simple contrôle a puisque, par définition, un tel contrôle ne permet pas aux pouvoirs publics d'influencer les décisions de l'organisme concerné en matière de marchés publics » (CJCE 27 février 2003, C-373/00, Adolf Truley Gmbh). On remarquera que le Conseil d’Etat semble moins catégorique puisqu’il ajoute un « en principe », laissant supposer qu’il pourrait y avoir des situations où un contrôle a posteriori et de régularité peut conduire à un contrôle de gestion.

À l’inverse, il a été jugé que les sociétés de logements sociaux françaises sont soumises à un tel contrôle de gestion pour différents motifs (CJCE 1er février 2001, Commission c/France, C-237/99) :
  • les caractéristiques techniques ainsi que les prix de revient sont déterminés par décision administrative ;
  • les statuts des sociétés de logements sociaux doivent contenir des clauses conformes aux clauses types ;
  • elles sont soumises au contrôle de l'administration sans précisions des limites à un tel contrôle est exercé ni si celui-ci se borne à une simple vérification de comptabilité ;
  • il existe un pouvoir du ministre chargé de la construction et de l'habitation de prononcer la dissolution d'une sociétés de logements sociaux et de nommer un liquidateur, de suspendre les organes dirigeants et de nommer un administrateur provisoire, pour des cas d'irrégularités graves, de faute grave dans la gestion ou de carence du conseil d'administration ou du directoire et du conseil de surveillance ;
  • le ministre chargé de la construction et de l’habitation peut imposer aux sociétés de logements sociaux un profil de gestion déterminé soit en les contraignant à un minimum de dynamisme, soit en limitant leur activité considérée comme excessive ;
  • une mission interministérielle d'inspection du logement social peut être chargée, outre des contrôles sur pièces et sur place des opérations des organismes d'habitations à loyer modéré, d'études, d'audits ou d'évaluations dans le domaine du logement social et peut formuler des propositions sur les suites à donner à ses rapports.
 
Dans l’affaire commentée, de tels pouvoirs n’étaient pas présents. Le Conseil d’Etat souligne que les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux :

« ne sont soumises qu’à un contrôle de régularité, y compris lorsqu’est en cause, s’agissant des établissements à but non lucratif, des dysfonctionnements dans leur gestion financière. Si certains de ces contrôles, en matière de garantie d’emprunt et de programmes d’investissements, sont exercés a priori, ils sont destinés à garantir le respect de la réglementation tarifaire et n’ont, pas davantage que les autres contrôles, pour objet ou pour effet de remettre en cause l’autonomie de gestion de ces personnes privées ».


On voit donc, à la lumière de cet arrêt et de celui de la Cour de justice Commission c/ France, que le caractère a priori ou a posteriori des contrôles n’est pas totalement déterminant : un contrôle a priori ne permet pas de conclure à un contrôle de gestion et certains contrôles a posteriori peuvent y contribuer. C’est plus la nature du contrôle qui doit être pris en compte : un contrôle de régularité (réglementaire, comptable) n’équivaut pas à un contrôle de gestion. Cela résulte clairement des conclusions Marc Pichon de Vendeuil, pour qui « Au fond, en matière de dépendance vis-à-vis d’une personne publique, c’est la frontière entre contrôle de la régularité et contrôle de l’opportunité qui nous paraît le mieux définir la ligne de fuite – qui est parfois une ligne de crête – de la jurisprudence ».

Il indiquait les éléments allant quand même dans le sens d’un  contrôle assez poussé : désignation d’un administrateur provisoire en cas de déséquilibre financier significatif et prolongé ou de dysfonctionnements dans la gestion financière, autorité de tarification pouvant demander la récupération de certains montants dès lors qu’elle constate des dépenses sans rapport ou manifestement hors de proportion avec le service rendu. Mais il ajoutait, « si de telles mesures impliquent, au moins temporairement, une immixtion plus grande dans le fonctionnement de l’organisme, il reste que leurs  conditions sont strictement encadrées et qu’elles répondent à des finalités purement régulatrices et non à une quelconque logique économique ». Tel doit donc être le critère de répartition entre les différents types de contrôles afin de déterminer l’existence d’un contrôle de gestion.

Mais il se pencha plus longuement sur deux autres pouvoirs : la conclusion d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens et l’accord de l’administration auxquels sont soumis les emprunts de plus d’un an et les programmes d’investissement avant de conclure qu’« Il s’agit donc plus d’un contrôle de la qualité de la dépense que d’un contrôle de la gestion ».
 
Une question n’est pas encore tranchée en jurisprudence à notre connaissance : peut-on parler de contrôle de gestion pour un actionnaire minoritaire qui dispose d’une minorité dote de blocage au sens du droit des sociétés ?


 
François LICHERE
Professeur agrégé en droit public