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CE, 20 mai 2025, 491398, Voies navigables de France c/ Département de l'Oise, classé B

Commentaire par François Lichère, professeur agrégé de droit public

Est d’ordre public en cassation le moyen tiré de ce que la responsabilité contractuelle ne pouvait être invoquée dès lors que les parties au litige n’étaient pas liées par un contrat.

Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Juin 2025

Commentaires de textes ou décisions
 

CE, 10 juin 2025, 495479, 495480, 495481, Association Agir pour l’environnement et autres, classé B
La clause relative à la durée et aux conditions de résiliation est dépourvue d’effet réglementaire.


► CE, 20 mai 2025, n° 498461-498679, Société La Forge de Longuyon, classé B
Une collectivité publique peut demander au juge le recouvrement d’une créance après l’émission d’un titre exécutoire si elle justifie, d’une part, de vaines tentatives d’exécution du titre exécutoire qu’elle a préalablement émis, notamment sur des biens situés en France, et d’autre part, de l’utilité d’une décision rendue par une juridiction française pour le recouvrement de sa créance sur des biens ou fonds à l’étranger.


CE, 20 mai 2025, 491398, Voies navigables de France c/ Département de l'Oise, classé B
Est d’ordre public en cassation le moyen tiré de ce que la responsabilité contractuelle ne pouvait être invoquée dès lors que les parties au litige n’étaient pas liées par un contrat .


CJUE, 12 Juin 2025, C‑415/23 P, OHB System AG
Le recrutement d’un employé-cadre d’un soumissionnaire par un autre soumissionnaire concurrent peut conduire à un conflit d’intérêts dont le pouvoir adjudicateur doit tenir compte.


 

Brèves

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Décision commentée :

CE, 20 mai 2025, 491398, Voies navigables de France c/ Département de l'Oise, classé B

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Commentaire de la décision :


Voici une autre affaire concernant VNF, qui s’en sort mieux cette fois.
 
L’apport de l’arrêt est implicite, d’où le vif intérêt à lire les conclusions pour cette raison, mais aussi pour comprendre, et peut-être critiquer, le fait pour le juge d’avoir conclu à l’absence de contrat.
 
Les faits étaient les suivants : le département de l’Oise a entrepris en 2012 la rénovation du pont permettant le franchissement du canal du Nord à Noyon (Oise) puis a demandé, en application des stipulations d’un procès-verbal « de conférence » du 7 octobre 1960, la prise en charge d’une partie des coûts de ces travaux à Voies navigables de France (VNF), qui a refusé. Le département de l’Oise a émis le 10 octobre 2013 un titre exécutoire d’un montant de 412 000 euros à l’encontre de VNF, qui n’y a pas donné suite, mais le tribunal administratif d’Amiens, saisi par le département de l’Oise, a condamné VNF à verser au département une somme de 156 680 euros hors taxes au titre de sa responsabilité contractuelle. La Cour administrative d’appel de Douai ayant porté cette somme à un montant de 208 185,49 euros hors taxes, Voies navigables de France s’est pourvu en cassation.
 
Le rapporteur public, Romain Victor, explique la suite de la procédure :  

« sa critique de cassation portait exclusivement sur l’analyse que les juges du fond ont faite des dispositions de l’article 3 du décret n° 91-796 du 20 août 1991, dont les dispositions ont été codifiées à l’article R. 4313-13 du code des transports, selon lesquelles « Sur le domaine qui lui est confié et pour l’exercice de ses missions, VNF est substitué de plein droit à l’État dans les droits et obligations de celui-ci, tels qu’ils résultent des conventions, contrats et concessions qu’il a conclus avec des tiers antérieurement à la création de l’établissement public ». L’établissement faisait valoir que la convention conclue entre le département et l’État ne portait pas « sur le domaine qui lui est confié », dès lors que le pont de Noyon appartient au domaine public routier du département, et que l’entretien de l’ouvrage était étranger à « l’exercice de ses missions ». Lorsque l’affaire a été inscrite une première fois devant vos 8ème et 3ème chambres réunies le 19 février dernier, nous vous avons fait part des raisons pour lesquelles la thèse de VNF ne pouvait pas être suivie, mais nous avons aussi soulevé la question de savoir si l’on entrait, au cas présent, dans le champ d’application des dispositions de l’article R. 4313-13 du code des transports, eu égard à la nature particulière du « procès-verbal de conférence » dont s’est prévalu le département de l’Oise, dès lors que ce document ne procède manifestement pas d’une convention, d’un contrat ou d’une concession au sens des dispositions de cet article. L’affaire a été rayée du rôle après séance et un moyen d’ordre public a été communiqué aux parties en application de l’article R. 611-7 du CJA».

 
C’est donc l’arrêt commenté qui conclut au moyen d’ordre public de l’existence ou non d’un contrat et au fait qu’en l’espèce, il n’y avait pas de contrat, ce qui conduit à annuler l’arrêt de la CAA de Douai et à lui renvoyer l’affaire.
 
Au passage, cette requête n’était pas irrecevable dès lors qu’il est fait exception à la jurisprudence Préfet de l’Eure dans les cas où, soit la créance est contractuelle comme dans l’affaire commentée précédemment, soit le débiteur de la créance est une autre personne publique (CE, 31 mai 2010, Société communauté d’agglomération Vichy Val d’Allier, 329483, p. 173).
 
Sur la question de savoir s’il y avait contrat, l’arrêt n’argumente pas, contrairement au rapporteur public. Celui-ci entre dans le détail du contexte originel de reconstruction du pont, datant de 1960, sans doute aidé par la rapporteure, ingénieure des ponts détachée au Conseil d’État depuis 2022.

Pour appuyer sa demande de prise en charge par VNF des frais de réfection d’un pont à hauteur de 83 %, le département s’est fondé sur les mentions d’un procès-verbal dit « de conférence » établi en 1960 qu’il a analysé comme une répartition contractuelle des charges d’entretien et de réparation de l’ouvrage entre le département et l’État. La dénomination dudit PV est issue d’un décret du 4 août 1955, pris pour l’application d’une loi prévoyant le régime de travaux « mixtes », à la fois civils et militaires, la « conférence » étant alors destinée à rapprocher les points de vue des autorités civiles et militaires.
 
Le Département de l’Oise, comme la CAA, a analysé ce document comme ayant procédé à une répartition conventionnelle de la charge d’entretien du pont – « peut-être au bénéfice de l’analyse selon laquelle « l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, chargé du service ordinaire de l’Oise à Beauvais », aurait signé au nom du département entendu comme collectivité territoriale, alors qu’il signait en tant que chef de ce qui était un service déconcentré de l’État, à l’échelon départemental » précise le rapporteur public. Et d’ajouter : « On indiquera sur ce point que c’est un décret de Napoléon III du 13 octobre 1851 qui a prévu que le service des Ponts et Chaussées – administration d’État – se divise en « service ordinaire, service extraordinaire et services détachés » et que le service ordinaire « comprend tous les services permanents » et « se subdivise en service général, service spécial, services divers », ledit service général comprenant « la direction et l’exécution des travaux ordinaires des ponts et chaussées dans chaque département ».

Or – pardon d’enfoncer cette porte ouverte – il faut être deux pour contracter, le contrat étant, comme l’indique le code civil, « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
 
C’est là qu’on ne suit pas tout à fait le rapporteur public. La théorie du « contrat avec soi-même » existe bien en droit privé. Il est vrai qu’il s’agit alors d’un contrat signé par une même personne physique, agissant généralement pour elle-même d’une part et comme représentant d’une personne morale d’autre part. Il est vrai aussi que le nouvel article 1161 du Code civil, cité par le rapporteur public, a entendu mettre fin à cette possibilité en principe, pour éviter de devoir se poser systématiquement la question du conflit d’intérêts (« un représentant ne peut agir pour le compte de deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté. En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié »).

Mais en droit administratif, on pourrait très bien se départir de cette conception et, en particulier dans les hypothèses de « double casquette » qui existaient avant les lois de décentralisation, à l’image du Préfet de département qui était aussi Président du Conseil général, on aurait très bien pu admettre une version administrativisée et donc plus étendue du contrat avec soi-même. Quant au caractère très peu formalisé du contrat, on sait que le juge administratif ne s’arrête pas à cela et adopte une forme poussée du consensualisme : l’existence d’un contrat a déjà été déduite du croisement de deux actes de forme unilatérale (CE, 20 mars 1996, Commune de Saint-Céré, 150038 ; CE, 5 octobre 2005, Commune de Maurepas, 256362) et la signature du préfet apposée non sur la transaction elle-même, mais sur la lettre accompagnant son offre de transaction emporte consentement de l’État (CE, 10 février 2014, Société Gecina, 350265).

François LICHERE
Professeur agrégé en droit public