Rapport - Statut des biens dans les contrats publics

A travers son huitième rapport, la Chaire de droit des contrats publics entend analyser l'encadrement juridique et les pratiques sur le statut des biens dans les contrats publics.


Biens et contrats sont essentiellement liés. En effet, un contrat ne saurait exister en l’absence de tout bien, qu’il en soit le support (permettant la concrétisation des obligations contractuelles) ou l’objet (la finalité du contrat). Par ailleurs, la gestion domaniale des personnes publiques peut nécessiter la mobilisation de l’outil contractuel pour l’acquisition d’un bien, sa conception, son entretien, son évolution ou encore sa valorisation.

Cette thématique soulève de nombreuses interrogations dont la principale tient, dans le cadre de la gestion domaniale, aux effets produits par les contrats publics sur le statut des biens et leur régime. La recherche entend déterminer si les contrats publics peuvent influencer, voire encadrer, le statut des biens qui en sont l’objet ou le support de l’exécution contractuelle, notamment pour atténuer certains principes juridiques tenant à la propriété publique (à l’image de la théorie des biens de retour, de l’insaisissabilité des biens publics ou de l’indisponibilité du domaine public). En somme, le contrat est-il un outil d’optimisation de la propriété des personnes publiques ?

À l’inverse, se pose la question de l’influence du statut et du régime des biens publics sur la stratégie contractuelle des personnes publiques, notamment au regard des contraintes pesant sur les biens relevant du domaine public et des besoins de financement des projets publics. Dans le même sens, la question du changement du statut du bien en cours d’exécution du contrat emporte-t-il des conséquences sur la nature du contrat ?

L’objectif de la recherche est de déterminer les effets des contrats publics sur l’identification de la nature et de la propriété d’un bien public, immobilier ou mobilier (corporel ou incorporel), sur son utilisation en cours d’exécution contractuelle et sur son régime de protection découlant du Code général de la propriété des personnes publiques et du Code général des collectivités territoriales. À cette occasion, l’attention sera portée notamment sur la propriété intellectuelle, la théorie des biens de retour, le déclassement des biens relevant du domaine public, les modalités de réception d’un bien en vue du transfert de propriété, l’entretien et la maintenance des biens, ou encore la constitution de droits réels ou de sûretés réelles.

Les constats


Au terme de l’étude, conduite grâce à 27 entretiens semi-directifs et un sondage en ligne ayant recueilli 83 réponses auprès d’avocats, de notaires, d'experts, d’autorités contractantes et d’opérateurs économiques, la Chaire a pu dresser plusieurs constats, notamment (et sans être exhaustif) :
  • Des difficultés d’identification du statut d’un bien public, notamment en l’absence de registre à jour des actes de déclassement d’un bien relevant du domaine public ;
  • Des problèmes d’identification du propriétaire, notamment en cas de revendications croisées entre personnes publiques ou de refus de reprise des biens par la personne publique en cas de succession d’occupants du domaine public ;
  • Une faible maîtrise du droit de la propriété intellectuelle par les juristes de la commande publique avec une tendance excessive à exiger la pleine propriété intellectuelle au lieu d’une simple cession des droits d’usage ;
  • Des difficultés d’identification des biens de retour, des biens de reprise et des biens propres en raison de l’imprécision du critère de qualification d’un bien de retour résultant de son caractère nécessaire au fonctionnement du service public ;
  • Des difficultés pour respecter les obligations d’entretien et de maintenance en raison de l’imprécision des notions de bon entretien ou encore d’entretien normal ;
  • Des défaillances dans le contrôle effectif des obligations d’entretien et de maintenance en cours d’exécution contractuelle ;
  • Des divergences d’interprétation sur l’obligation de publicité et de mise en concurrence pour les titres d’occupation à caractère économique des biens relevant du domaine privé des personnes publiques ;
  • Un besoin de clarification pour garantir la sécurité juridique des titres d’occupation délivrés ;
  • Une volonté de clarifier le principe d’insaisissabilité des biens publics pour faciliter les financements des projets publics, préciser les voies d’exécution administratives et reconnaître des montages comme la fiducie-sûreté.
Pour en savoir plus, consultez le rapport.

Les recommandations

 

Dans ce contexte, la Chaire propose 17 recommandations :

 
Les recommandations liées à l’identification de la nature et de la propriété des biens publics

En ce qui concerne les biens incorporels, la formation des agents publics et des élus au droit de la propriété intellectuelle s’avère nécessaire pour éviter les appropriations publiques excessives (Rec. 1). Il en va de même pour l’établissement d’un formulaire DC d’inventaire des connaissances antérieures, en matière de propriété intellectuelle (Rec. 2).

En matière de biens corporels, la confirmation du maintien du droit de propriété de l’occupant du domaine public sur les installations en cas de renouvellement de son titre (Rec. 3) est vivement conseillée.

L’identification de la nature d’un bien appartenant à une personne publique constitue un enjeu majeur pour les personnes publiques et leurs cocontractants. Pour œuvrer à une meilleure identification du régime domanial des biens, la chaire recommande de mettre à la charge des personnes publiques propriétaires le soin de déterminer le régime domanial du bien avant la conclusion de chaque contrat de gestion ou de mise à disposition (Rec. 4). La création d’une plateforme numérique recensant les actes de déclassement des biens du domaine public (Rec. 5) serait également opportune pour faciliter l’identification du régime domanial applicable.

Par ailleurs, le défaut de connaissance des personnes publiques sur la nature du bien et les procédures de sortie du bien du domaine public est souvent à l’origine de la conclusion de contrats incompatibles avec le domaine public, à l’instar des baux commerciaux. C’est pourquoi, pour prévenir les risques sur la sécurité juridique qu’emporte la conclusion de tels contrats, la Chaire préconise, en cas de doute et à titre de règle pratique prudentielle, de considérer qu’un bien appartenant à une personne publique fait partie du domaine public (Rec. 6). L’absence d’un acte formel de déclassement devrait amener les autorités contractantes et leurs conseils à plus de prudence pour éviter toute insécurité juridique quant aux montages contractuels mis en œuvre.

L’application de la théorie des biens de retour dans les concessions a été au centre de nombreuses critiques de la part des praticiens dans le cadre des enquêtes de terrain. Les principaux points d’attention, pour eux, concernent les notions mêmes de biens de retour, de reprise et propres, et l’identification de certains d’entre eux, en particulier les provisions pour renouvellement au regard de la décision du Conseil d’État, Société électricité de Tahiti. Ainsi, face au constat d’un déliement de la théorie des biens de retour avec le principe de continuité du service public, il est proposé de réduire la qualification des biens de retour et de reprise en révisant le Code de la commande publique et de préciser les biens propres au concessionnaire dans une déclaration d’apport (Rec. 7). Par ailleurs, malgré la position mitigée des enquêtés sur cette question, la Chaire est d’avis de suivre la proposition de la doctrine d’étendre la théorie des biens de retour aux marchés publics et marchés de partenariat confiant une mission de service public à un titulaire (Rec. 8). En outre, pour éviter les interprétations extensives de la décision du Conseil d’État, Société électricité de Tahiti, les provisions pour renouvellement, en tant qu’écriture comptable, devraient être exclues de la qualification des biens de retour (Rec. 9).

Les recommandations liées à l'utilisation des biens publics

L’absence d’obligation de publicité et de mise en concurrence dans l’attribution des conventions domaniales à caractère économique des biens relevant du domaine privé des personnes publiques emporte un risque non négligeable d’incompatibilité avec le droit de l’Union européenne. La Chaire estime opportun, sans que cela conduise à une modification législative, de préconiser une extension des mesures de publicité et de mise en concurrence des occupations des biens du domaine privé dont la rareté est admise et qui revêtent un intérêt transfrontalier avéré (Rec. 10) en vertu de l’article 12 de la directive services et de l’article 49 du TFUE. Cette précaution est d’autant plus nécessaire que le Gouvernement a récemment indiqué qu’aucune réforme législative n’étant envisagée à l’heure actuelle sur ce point.

La clarification des obligations d’entretien et de maintenance des biens publics utilisés dans les contrats publics nécessite de donner un contenu sémantique aux notions d’entretien normal et d’infrastructure en bon état (Rec. 11), et d’instaurer un contrôle régulier de l’état d’entretien de ces biens (Rec. 12). À ce titre, la Chaire propose d’étendre la conception du « bon état » retenue par l’Autorité des régulations des transports à l’ensemble des biens de retour. Dès lors, la notion d’entretien normal pourrait se comprendre comme l’ensemble des opérations de maintien en état et de réparation d’un bien en vue de garantir son exploitation dans des conditions optimales. Cet entretien normal devrait s’appréhender au regard de critères (en fonction du bien, de la durée du contrat et de l’état attendu en fin de contrat) provenant, par exemple, d’un guide idéalement être publié par la direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances (DAJ), la Direction de l’immobilier de l’État (DIE)  ou la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) en partenariat avec les autorités administratives indépendantes les et les organisations professionnelles intéressées. Les critères retenus par les parties pour définir le bien en bon état en fin de contrat doivent tenir compte de l’usure normale du bien.

En cas de fin anticipée du contrat, la reprise en régie d’un service public nécessite, parfois, la reprise des contrats d’entretien et de maintenance des délégataires. Ceci assure la continuité du service public en attendant l’attribution de contrats similaires conformément aux dispositions du Code de la commande publique. D’ailleurs, la continuité du service public implique également la reprise des contrats de travail et des contrats de location. Les contrats signés avec les tiers devraient ainsi contenir des clauses de subrogation au profit des autorités délégantes. Les difficultés surviennent en cas de silence du contrat ou de refus du concessionnaire sortant de céder ces contrats dans la mesure où les sous-contrats deviennent caducs en cas de résiliation du contrat principal. La codification de la décision Commune de Propriano permettrait ainsi de prendre en compte l’ensemble des sous-contrats (contrats de location, de travail, d’entretien et de maintenance, etc.) (Rec. 13).

Les recommandations liées au régime de protection des biens publics ayant des répercussions sur les contrats publics

Certains enquêtés ont témoigné de leur souhait d’une atténuation de la portée du principe d’insaisissabilité des biens publics en raison de l’impossibilité d’engager à l’encontre des personnes publiques débitrices défaillantes des procédures civiles de conservation ou d’exécution. Pourtant, en l’état du droit, ce principe est déjà atténué avec l’existence de voies d’exécution administratives et les dispositions du Code de justice administrative (art. L. 911-1 et suivants). Aussi est-il pertinent de codifier à droit constant dans le Code général de la propriété des personnes publiques ces tempéraments au principe d’insaisissabilité prévu à l’article L. 2311-1 dudit code (Rec. 14).

Par ailleurs, pour faciliter les financements de projets publics dans le cas de marchés de partenariat, de contrats de concessions et de conventions d’occupation domaniale constitutives de droits réels, la reconnaissance explicite de la fiducie-sûreté apporterait des garanties de sécurité juridique aux cocontractants, tout en prévoyant l’agrément de la personne publique et la préservation de l’affectation de certains biens publics au service public (Rec. 15).

Durant les enquêtes de terrain, rares sont les participants à s’être positionnés sur la prévention des libéralités dans les contrats de la commande publique et les conventions d’occupation domaniale. Certains d’entre eux ont, tout de même, confié des attentes relatives aux évaluations de la DIE sur les biens immobiliers des collectivités, de leurs groupements et de leurs établissements publics tant pour les cessions immobilières que pour les locations. Les avis de la DIE étant précieux pour appréhender les libéralités dans les situations de cession ou de location, une recommandation dédiée est proposée en ce sens (Rec. 16). Enfin, s’agissant de la mise à disposition de locaux communaux à des associations cultuelles, la codification de la récente jurisprudence du Conseil d’État du 18 mars 2024, Commune de Nice (n° 471061), est recommandée pour concilier le régime de la mise à disposition avec le principe de neutralité religieuse des personnes publiques (Rec. 17).