Jurisprudence européenne - Moyens invocables à l'occasion d'un recours contre une procédure de passation

Evènement | 15 février 2021

Par un arrêt du 24 mars 2021, la Cour de justice de l’Union européenne réaffirme sa conception large des moyens invocables à l’occasion d’un recours d’un concurrent évincé contre la procédure de passation d’un marché public.

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CJUE, 24 mars 2021, NAMA Symvouloi, aff. C-771/19

  • Par plusieurs questions préjudicielles posées par le Conseil d’État grec, il était demandé à la cour de savoir si la directive 92/13 relative aux procédures de passation des marchés des entités des secteurs en réseau, modifiée par la directive 2014/23, s’opposait « à une pratique nationale en vertu de laquelle un soumissionnaire qui a été exclu d’une procédure de passation de marché public à un stade antérieur à la phase d’attribution de ce marché et dont la demande de sursis à exécution de la décision l’excluant de cette procédure a été rejetée, ne peut, faute d’intérêt à agir, invoquer, dans sa demande de sursis à exécution de la décision admettant l’offre d’un autre soumissionnaire, introduite concomitamment, des moyens sans lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue, à l’exception du moyen selon lequel la décision d’admission de cette offre viole le principe d’égalité dans l’appréciation des offres ». Était donc demandée une interprétation de l’article 1er, 3° de ladite directive selon lequel « les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée ».
  • Poursuivant sa jurisprudence portant admission large des moyens recevables en la matière (CJUE, 4 juil. 2013, Fastweb ; 11 mai 2017, Archus et Gama ; 5 sept. 2019, Lombardi), la cour estime : « qu’un soumissionnaire qui a été exclu d’une procédure de passation de marché public à un stade antérieur à la phase d’attribution de ce marché et dont la demande de sursis à exécution de la décision l’excluant de cette procédure a été rejetée, peut invoquer, dans sa demande de sursis à exécution de la décision admettant l’offre d’un autre soumissionnaire, introduite concomitamment, tous les moyens tirés de la violation du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit, y compris des moyens qui ne présentent pas de lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue. Cette faculté n’est pas affectée par la circonstance que le recours administratif précontentieux devant une instance nationale indépendante qui devait, en vertu du droit national, être introduit, au préalable, par ce soumissionnaire contre la décision de son exclusion a été rejeté, pour autant que ce rejet n’a pas acquis autorité de chose jugée ». En somme, la Cour semble fusionner les conditions de l’article 1er, 3° de la directive en ne distinguant pas l’intérêt à agir et l’intérêt à invoquer certains moyens, dans une interprétation que pratiquait le Conseil d’État avant 2008 et que B. Dacosta résumait ainsi dans ses conclusions sur l’arrêt SMIRGEOMES : « Tout manquement peut donc être invoqué par tout requérant ».
  • Rappelons que la jurisprudence du Conseil d’État en la matière est bien plus restrictive puisque, conformément à la lettre de l’article L.551-1 du code de justice administrative, le concurrent évincé requérant ne peut, à l’appui de son référé-précontractuel, qu’avancer des moyens relatifs à des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui, « eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE, 3 oct. 2008, SMIRGEOMES). Cette interprétation semble bien remise en cause par la jurisprudence de la Cour de justice.