Par François Lichère, professeur agrégé de droit public
Retrouvez dans les brèves les derniers textes officiels et les dernières décisions juridictionnelles pouvant susciter l'intérêt des spécialistes de la commande publique.
- Sommaire de L'Essentiel du Droit des Contrats Publics - Septembre 2025
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Commentaires de textes ou décisions
► CE, 22 juillet 2025, 494323, Société NGE Génie Civil et autres, classé B
Les intérêts moratoires contractuels continuent à courir si la transaction n’est pas réglée dans les délais prévus par elle.
► CE, 22 juillet 2025, 491997, Office public de l’habitat Lille Métropole Habitat, classé B
La qualification d’ « ouvrage » conditionnant l’application du régime de la garantie décennale relève du contrôle de cassation.
► CE, 22 juillet 2025, 493810, Société Eiffage Génie civil, classé C
L’existence d’une responsabilité in solidum relève en cassation de la qualification juridique des faits ; la modification d’un procédé technique caractérise en l’espèce un défaut de contrôle du maître d’ouvrage, mais ne conduit pas à une responsabilité in solidum.
► CJUE, 11 septembre 2025, Autriche c/ Commission, C‑59/23 P
Le contrôle de compatibilité d’une aide d’État avec le droit de l’Union européenne peut inclure le contrôle du respect du droit des marchés publics.
Brèves
Brèves pour la période de avril 2025 à juillet 2025 :
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Décisions juridictionnelles et avis contentieux
CE, 31 juillet 2025, 502246, Société Artelia
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L’appréciation de l’intérêt à agir d’une commune s’opposant à une société appelée en garantie décennale s’apprécie à la date d’introduction du recours et non à la date d’apparition du désordre :
« Pour écarter la fin de non-recevoir, tirée du défaut de qualité pour agir de la commune de Carqueiranne, opposée à la demande de première instance par la société Artelia, qui soutenait que la compétence communale en matière de voirie avait été transférée dès 2018 à la métropole Toulon-Provence-Méditerranée, la cour administrative de Marseille a relevé que la commune avait seule qualité, à la date de l’apparition du désordre, pour engager la responsabilité décennale des constructeurs. En se plaçant, pour apprécier l’intérêt pour agir de la commune, à la date de l’apparition du désordre, et non à la date d’introduction de son recours, la Cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit. »
CE, 31 juillet 2025, 503772, Société Apave International
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La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait ne peut interrompre le délai de prescription qu’à l’égard de ce débiteur et non à l’égard d’autres personnes :
« Aux termes de l’article 2240 du code civil, dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : « La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ». Pour écarter le moyen soulevé par la société Apave et autres tiré de ce que la demande de désignation d’un expert présentée le 17 novembre 2023 par la commune de Corrèze avait été formée au-delà du délai de dix ans à compter de la réception des travaux, l’auteur de l’ordonnance attaquée a estimé que l’exécution par la société CCPF de travaux de reprise des désordres couverts par la garantie décennale valait reconnaissance par ce constructeur de sa responsabilité et avait interrompu la prescription non seulement à son égard, mais également à l’égard des sociétés Apave et autres. La société Apave est fondée à soutenir qu’en statuant ainsi, alors que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait ne peut interrompre le délai de prescription qu’à l’égard de ce débiteur et non à l’égard d’autres personnes, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. »
CE, 21 mai 2025,491124
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L’existence d’un écart historique de tarification entre les usagers d’un service public d’assainissement non collectif habitant des communes ayant récemment intégré un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et les usagers habitant des communes qui étaient précédemment membres de cet EPCI, ne constitue, en tant que telle, ni une différence de situation appréciable au regard des caractéristiques du service fourni, tenant par exemple à la reprise provisoire, pour les communes récemment intégrées, des contrats antérieurement conclus, ni une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service, tenant par exemple à la circonstance que l’ampleur de cet écart imposerait des mesures transitoires. Elle ne justifie donc pas, à elle seule, le maintien d’une différence de tarification entre les usagers de ces deux groupes.
CAA Lyon, 30 avril 2025, 23LY02141
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Une cour administrative d’appel ajoute une condition non prévue par le Code de la commande publique quant à l’actualisation du prix (soulignée par nous) :
« Il résulte de ces dispositions et stipulations que l'actualisation des prix a pour but de compenser l'érosion des marges du titulaire en raison de l'évolution des conditions économiques lorsqu'un délai anormalement long, supérieur à trois mois, imputable au pouvoir adjudicateur sépare l'établissement des prix du marché et la date de commencement d'exécution des prestations. En revanche, le titulaire du marché est sensé avoir intégré dans sa proposition de prix ferme l'ensemble des aléas pesant sur l'exécution du marché dont la durée prévisible est portée à sa connaissance à l'occasion de la mise en concurrence. Il suit de là, d'une part, que l'actualisation ne trouve pas à s'appliquer lorsque le délai de commencement d'exécution n'ayant pas excédé trois mois, l'allongement de l'opération est dû à d'autres causes exposant les responsables à en réparer les conséquences, d'autre part, que l'actualisation s'appliquant à l'offre de prix ferme, elle doit être mise en œuvre distinctement pour chaque marché, même si des contrats successifs signés par les mêmes parties ont concouru à la réalisation d'une seule opération, dès lors que chacun d'eux a donné lieu à la formation d'un prix ferme, enfin, qu'en cas de dépassement du délai de trois mois, elle ne s'applique qu'au prix global selon le différentiel entre l'index en vigueur au cours du mois de début d'exécution du marché et l'index d'origine de ce marché, et non pas de manière échelonnée, par élément de mission et selon un différentiel intégrant l'index en vigueur à la période d'exécution de l'élément de mission considéré. »
CAA Lyon, 30 avril 2025, 24LY03044, SA Engie Énergie Services
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La juridiction administrative est compétente pour connaître d'une demande de référé provision d'un fournisseur d'électricité à l'encontre d'une commune au titre d'un contrat de fourniture d'électricité que le requérant affirme avoir conclu avec celle-ci, sans égard à l'option ouverte aux acheteurs publics de conclure des marchés publics de fourniture d'énergie avec d'autres opérateurs que l'opérateur historique :
« Il résulte de la combinaison des articles L. 1111-1, L. 1111-3 et L. 1211-1 du code de la commande publique que constituent des marchés publics de fournitures, les contrats passés avec des opérateurs économiques par les pouvoirs adjudicateurs, au nombre desquels figurent les communes, pour l'achat de fournitures afin de répondre à leurs besoins, sans égard à l'option ouverte, par l'article L. 331-4 du code de l'énergie, aux acheteurs publics de conclure des marchés publics de fourniture d'énergie avec d'autres opérateurs que l'opérateur historique. »
CAA Bordeaux, 3 juin 2025, 23BX03049
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Des fautes d’un prestataire de service de nettoyage n’étaient pas d’une gravité suffisante pour justifier une résiliation pour faute :
« 9. Il résulte de l'instruction que, par un courriel du 7 mai 2020, la commune a notifié à la société requérante la résiliation du marché au 12 mai 2020 au motif d'une insatisfaction générale sur la qualité de la prestation de nettoyage. Cette résiliation est intervenue alors que les prestations de nettoyage de l'école avaient été suspendues à compter du 13 mars 2020 en raison des mesures de confinement mises en œuvre par le gouvernement à la suite de l'épidémie de Covid-19 et que la commune avait informé la société requérante, le 17 avril 2020, d'une possible réouverture de l'école le lundi 11 mai 2020 et du protocole de ménage à mettre en place, sans mention d'insatisfactions de sa part ni a fortiori de mise en demeure d'assurer une meilleure exécution du contrat. Avant cela, par un courrier du 15 mai 2019, la commune de Monferran-Savès avait indiqué qu'elle n'avait pas de remarque concernant la qualité de la prestation de nettoyage réalisée par la société PLD Garonne depuis le 1er octobre 2018, mais lui avait demandé de mettre en œuvre des actions correctives afin de mieux fiabiliser à l'avenir le remplacement de son personnel absent, ayant constaté que la prestation avait été quelque peu désorganisée et la qualité du ménage affectée lors d'absences pendant les vacances scolaires ou à l'occasion de congés de maladie. À la suite de contrôles effectués en mai 2019 et en novembre 2019, la commune a certes infligé des pénalités de 5 % à la société, mais les dernières évaluations avant la suspension, en date des 30 janvier et 27 février 2020, reflétaient des prestations globalement conformes aux attentes, hormis quelques critiques mineures. 10. Dans ces conditions, par leur nature et leur ampleur, les manquements de la société PLD Garonne dont se prévaut la commune ne sont pas d'un degré de gravité suffisant pour justifier une mesure de résiliation au titre de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services précité, ou au titre d'une faute d'une particulière gravité. Dès lors, la société requérante est fondée à soutenir que la commune ne pouvait se fonder sur un tel motif pour résilier le marché. »
CAA Nantes, 16 mai 2025, 24NT00163
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Le contrôleur technique peut voir sa responsabilité engagée au titre de la garantie décennale :
« 8. Enfin, l'expert a exposé de façon circonstanciée dans son rapport que le revêtement d'étanchéité des bassins était un élément indissociable de la structure de l'ouvrage et entrait de ce fait dans le périmètre de la mission de la société Qualiconsult, qui était chargée du contrôle technique des travaux. En effet, le contrôleur technique contribue à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages en application des dispositions précitées de l'article L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation. Or, malgré le fait que cette société était en mesure d'accéder à toutes les informations nécessaires pour constater que les caractéristiques du revêtement énoncées dans le mémoire technique de la société Amson étaient incompatibles avec les températures d'eau des bassins, elle n'a toutefois formulé aucune alerte sur ce point auprès de la maîtrise d'œuvre. En outre, l'expert a constaté que l'absence de communication des auto-contrôles de la société Amson aurait dû l'alerter et l'inciter, dès lors, à faire preuve de vigilance quant à la bonne mise œuvre du revêtement d'étanchéité à l'origine des désordres litigieux, ce qu'elle n'a pas fait. 9. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, le tribunal administratif a fait une exacte appréciation de la part de responsabilité de la société Sombat dans l'apparition des désordres litigieux en la fixant à 85%, de la part de responsabilité de la société Gruet Ingénierie en la fixant à 10 % et de la part de responsabilité de la société Qualiconsult en la fixant à 5 %. CAP Atlantique est donc fondée à demander la condamnation in solidum de ces sociétés à réparer les conséquences dommageables de ces désordres. »
CAA Marseille, 16 mai 2025, 24MA01201
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Lorsqu'un même désordre décennal est imputable à une pluralité de constructeurs, le maître d'ouvrage public peut demander leur condamnation in solidum :
« Conformément aux principes qui régissent les actions décennales, les différentes entreprises liées au maître d'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage et auxquelles les désordres sont imputables sont tenues, in solidum, à réparation de la totalité du préjudice subi par ce dernier. Dès lors, la circonstance, invoquée par la société RPM Bally, que sa faute n'a contribué qu'à hauteur de 16,6 % à la survenance du désordre, est sans influence sur le bien-fondé de la condamnation prononcée par le tribunal administratif de Nice au titre de la responsabilité décennale des constructeurs. »
CAA Bordeaux, 14 mai 2025, 25BX00259
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Sursis à exécution d’un jugement prononçant une résiliation avec effet immédiat dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne :
« Pour résilier le marché conclu le 9 septembre 2022 entre Bordeaux Métropole et le groupement conduit par la société Océa, le tribunal a estimé que l'offre présentée par ce groupement n'était pas conforme aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) en ce qui concerne la motorisation, et qu'elle devait donc être écartée comme inappropriée. 6. En l'état de l'instruction, le moyen soulevé par Bordeaux Métropole et tiré de ce que la résiliation immédiate du contrat prononcée par le tribunal porte une atteinte excessive à l'intérêt général présente un caractère sérieux, eu égard notamment à ses incidences sur la stratégie de développement du service public de transport fluvial de Bordeaux Métropole et à l'état d'avancement de la phase en cours de la tranche optionnelle de ce contrat, puisque le titulaire aurait été en mesure de livrer deux navettes dès le mois de février 2025. Ce moyen est de nature à justifier la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a pas différé la résiliation prononcée de manière à permettre la livraison de ces navettes. Aucun autre moyen soulevé devant le tribunal par la société CAI et autres n'apparait par ailleurs de nature à justifier la résiliation du marché conclu le 9 septembre 2022. »